Editorial du « Monde ». « L’affaire du siècle » est devenue, en à peine plus d’une semaine, la pétition française la plus massivement signée, non du siècle, mais de l’histoire. Lancée le 17 décembre par Oxfam, Notre affaire à tous, Greenpeace France et par la Fondation pour la nature et l’homme, l’initiative vise à poursuivre l’Etat français devant la justice administrative pour carence fautive s’il n’apporte pas la preuve, dans les deux mois, qu’il met effectivement en œuvre ses engagements en matière de lutte contre le changement climatique. Avec 1,8 million de signataires en quelques jours, la pétition des quatre ONG surpasse de loin toutes les initiatives comparables.

Certes, les pétitions en ligne sont outil de mobilisation qui peut être fugace et superficiel : un simple clic ne vaut pas nécessairement un engagement éclairé et solide. Mais le succès de « L’affaire du siècle » dit quelque chose de la prise de conscience s’installant peu à peu face à la menace climatique. Au-delà des rapports d’experts, de nouveaux événements – inondations, incendies, érosion des côtes, sécheresses… – rendent chaque année plus tangibles les risques multiples du réchauffement de l’atmosphère.

Le fulgurant succès de « L’affaire du siècle » signale aussi une autre menace : celle de la fragmentation de la société, reflet des inégalités socio-économiques et des fractures territoriales. Car cette nouvelle mobilisation intervient dans la foulée de la révolte des « gilets jaunes », elle-même largement portée par les réseaux sociaux pour s’opposer à la taxation des carburants légitimée par l’impératif climatique. Cet antagonisme, au moins apparent, pose la question de savoir quelles transformations la société française est prête à assumer pour lutter contre le réchauffement.

Le plus dur est à venir

Réagissant à la mobilisation en cours, le ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, a tenté de relativiser l’effort à accomplir : à ses yeux, la France est sur la bonne voie, ses émissions françaises de gaz à effet de serre baissent depuis une trentaine d’années, et leur sursaut récent relève d’écarts conjoncturels. D’autres font valoir que les efforts à consentir en termes de lutte contre le réchauffement ne seraient pas si importants : la France est déjà, parmi les pays du Nord, l’un des plus modestes émetteurs de gaz à effet de serre, du fait de son parc nucléaire.

Ces considérations masquent en réalité une grande part du problème. D’abord, la baisse tendancielle des émissions françaises et leur valeur en apparence faible ne reflètent que ce qui est produit sur le territoire national, et non ce qui est produit ailleurs (en Chine, notamment) et consommé en France. La faiblesse des émissions françaises renvoie donc plus à la délocalisation d’une part de son industrie, qu’à la matérialisation de réels progrès. Ensuite, il est illusoire de penser que la diplomatie climatique peut fonctionner sans que chacun y prenne sa juste part. Chacun doit faire son quota d’efforts pour entraîner les autres à concéder le leur.

La réalité – attestée notamment par l’accord de Paris sur le climat de 2015 et par les engagements que 196 Etats, dont la France, y ont pris – est que les plus grands efforts à accomplir sont encore à venir. Dans une société aussi hésitante, voire divisée, face à la question climatique, les choix, pour tout gouvernement, risquent de devenir extrêmement difficiles. Mais gouverner, c’est choisir.