Lors d’une marche pour le climat à Bordeaux, le 8 décembre. / NICOLAS TUCAT / AFP

Pour la première fois, au printemps 2019, l’Etat français pourrait avoir à défendre devant la justice administrative des pans entiers de son action de lutte contre le réchauffement climatique : c’est la conséquence possible d’un recours que doivent déposer les quatre associations à l’initiative de « L’Affaire du siècle » (Oxfam France, Greenpeace France, Notre affaire à tous et la Fondation pour la nature et l’homme) si aucune réponse n’est apportée à leur « demande préalable indemnitaire » envoyée le 18 décembre à de nombreux ministres et au président de la République, Emmanuel Macron.

Soutenue par près de 1,8 million de signataires d’une pétition en ligne, le recours pour « carence fautive » de l’Etat veut souligner l’échec de la France à remplir ses objectifs de lutte contre le réchauffement climatique, inscrits et chiffrés dans différents textes européens transcrits dans la loi française.

Parmi eux figurent, à l’horizon 2020, la réduction globale de 14 % des émissions de gaz à effet de serre, la baisse de la consommation globale d’énergie de 20 % et l’augmentation à 23 % de la part des énergies renouvelables dans la production française. « Il est aujourd’hui avéré que la France ne respecte pas [ses] engagements et objectifs » à deux ans de l’échéance, souligne le document envoyé au gouvernement, qui a deux mois pour y répondre avant l’examen du recours par un juge administratif.

En France, l’Etat a déjà été condamné pour l’insuffisance de son action de protection de l’environnement, notamment pour son incapacité à empêcher la prolifération des algues vertes en Bretagne, à protéger un ouvrier du danger de l’exposition aux poussières d’amiante ou pour des manquements dans l’application d’une directive européenne sur la qualité de l’air.

Mais un tel recours « n’a pas de précédent de cette ampleur », explique Jean-Paul Markus, professeur de droit et membre du collectif des Surligneurs. Les objectifs visés ont trait à la réglementation des transports et à celle de la production d’énergie, et pourraient avoir des conséquences sur les politiques de santé et l’aménagement du territoire. La démarche est aussi inédite en s’attaquant à des engagements pris seulement à l’échéance 2020, mais dont la réalisation est déjà compromise. « La politique de la France étant insuffisante, il faut affirmer ces manquements en appuyant sur tous les leviers en même temps », justifie Marie Toussaint, juriste de l’association Notre affaire à tous.

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« C’est à l’Etat de se mettre en conformité »

Le choix d’une procédure pour « carence fautive » vise à attester des manquements de l’Etat, d’une inaction ayant mené à compromettre les engagements pris dans la loi. Le juge administratif pourrait condamner l’Etat à mettre en place toute mesure nécessaire à la réalisation de ces objectifs. « Le magistrat ne peut pas aller plus loin que cette injonction, c’est à l’Etat de se mettre en conformité, par des décrets, des projets de lois si nécessaire », détaille Jean-Paul Markus.

Outre les directives européennes, contraignantes pour la justice française, la demande préalable se fonde sur le principe de précaution inscrit dans la Constitution, ainsi que sur « un principe général du droit portant obligation de lutte contre le changement climatique », plus difficile à faire valoir devant un juge.

Sur le modèle d’une action réussie aux Pays-Bas – où le gouvernement a été condamné à deux reprises à rehausser ses objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre –, « L’Affaire du siècle » s’appuie aussi sur deux articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui demandent notamment aux Etats de « prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes », y compris face aux enjeux environnementaux.

« Nous voulons inverser la perspective financière »

Les associations demandent, par ailleurs, le versement d’indemnités pour préjudice moral et écologique, sans pour l’instant chiffrer le préjudice subi. « Nous voulons inverser la perspective financière, montrer à l’Etat que les procédures peuvent coûter plus cher qu’une réelle poursuite de ces objectifs », explique Me Emmanuel Aoud, avocat des associations dans le dépôt de ce recours. Les associations ne représentant pas de victimes directes de conséquences du réchauffement climatique (catastrophe naturelle, montée des eaux…), les indemnités ne pourraient cependant, selon plusieurs spécialistes du droit, dépasser quelques milliers d’euros.

Dans l’attente d’un jugement du recours, la réponse du ministre de la transition écologique et solidaire à cette demande préalable – François de Rugy a déclaré dans Le Parisien, le 25 décembre, qu’il « n’est pas à des juges de forcer le gouvernement à prendre une loi » sur la protection de l’environnement – n’est pas valable, selon Jean-Paul Markus :

« Le juge administratif influence la loi de manière indirecte. S’il y a une injonction de sa part, l’Etat devra se mettre en conformité. »

« Je crois que M. de Rugy doit réviser son droit constitutionnel et administratif », commente, pour sa part, Me Aoud. Sans réponse officielle de la part du gouvernement, le dépôt du recours est prévu pour le mois de mars 2019.

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