Kalidou Koulibaly, le 26 décembre 2018, lors du match Inter Milan-Naples. / ALBERTO LINGRIA / REUTERS

C’était il y a quasiment un an, début janvier 2018. Le joueur de football français Blaise Matuidi, qui évoluait alors dans les rangs de la Juventus Turin, avait pris à témoin l’arbitre du match disputé en Sardaigne contre Cagliari, lui demandant d’intervenir alors qu’il était la cible d’insultes racistes de la part de certains supporteurs. Le match s’était poursuivi, comme si de rien n’était.

Si le club de Cagliari avait présenté ses excuses, assurant que « le racisme n’a rien à voir avec le peuple sarde » et que « seule l’ignorance peut expliquer certains comportements », l’affaire avait fait les gros titres de la presse, questionnant sur la prise en compte et l’efficacité de la lutte contre ces dérives racistes par les instances dirigeantes du football italien.

Les mêmes questions se posent après que le défenseur sénégalais de Naples Kalidou Koulibaly a été la cible de cris racistes, mercredi 26 décembre, à Milan. « Les sifflets contre un joueur de couleur, en 2018 encore, font très mal », a déploré le quotidien La Repubblica, alors que le quotidien sportif La Gazzetta dello Sport, qui a désigné Koulibaly joueur du match, a dénoncé « les sifflets indignes d’une ville cosmopolite comme Milan ».

Les comportements racistes, une constante

Cela fait des décennies que, lors des matchs du championnat d’Italie, des joueurs africains ou d’origine africaine sont les cibles de cris de singe ou de lancer de bananes. Kalidou Koulibaly avait déjà été visé par des supporteurs de la Juventus Turin en septembre. Même chose pour Blaise Matuidi : avant le match à Cagliari, il avait été confronté, fin décembre 2017, à des chants racistes proférés par certains supporteurs du Hellas Vérone.

Les internationaux italiens ne sont pas épargnés. Mario Balotelli, premier joueur noir sélectionné en équipe nationale, en a souvent été victime. Lorsqu’il portait les couleurs de l’Inter Milan, en avril 2009, certains supporteurs de la Juventus lui avaient lancé : « Il n’y a pas d’Italiens noirs ! » Cette année, rappelé sous le maillot azzurro après quatre ans d’absence, il avait été accueilli lors d’un match amical contre l’Arabie saoudite, fin mai, par une banderole sur laquelle était écrit : « Mon capitaine est de sang italien. »

Un antisémitisme persistant

L’extrême droite est très présente dans les rangs des supporteurs de certains clubs. En octobre 2017, ceux qui se sont baptisés les Irriducibili à la Lazio, avaient provoqué une très vive émotion et de fortes réactions après avoir arboré des autocollants avec un photomontage d’Anne Frank portant le maillot de la Roma, ainsi que des autocollants antisémites ou homophobes.

Ces « manifestations » des ultras intervenaient après qu’ils avaient été privés de leur tribune habituelle, suspendue après des cris de singe lancés lors d’un match précédent.

Des sanctions variables

La Ligue de football italienne a mis en place, ces dernières années, des sanctions afin d’essayer de lutter contre les comportements racistes. Un joueur qui profère des propos racistes peut être suspendu, les clubs dont les supporteurs se livrent à ces manifestations racistes peuvent être sanctionnés par des amendes et matchs à huis clos. Mais l’application de ces sanctions et leur ampleur sont variables.

  • En octobre, la Juventus Turin a été sanctionnée par la Fédération italienne d’une amende de 10 000 euros et d’une fermeture de l’une de ses tribunes pour un match, après des cris et chants racistes visant, déjà, Kalidou Koulibaly.
     
  • La sanction qui a visé, en tout début d’année, Hellas Vérone était du même ordre : amende de 20 000 euros et fermeture avec sursis d’une tribune à la suite de chants racistes proférés par certains de ses supporteurs à l’encontre de Blaise Matuidi
     
  • En janvier, Cagliari avait pour sa part échappé à toute sanction pour les chants racistes dont le même Blaise Matuidi s’était dit la cible. « Ces expressions n’ont pas été entendues par l’arbitre, les représentants de la Fédération italienne, ou consignées dans le rapport du match », avait expliqué la commission de discipline de la Ligue
     
  • En janvier, après l’« affaire » des photos détournées d’Anne Frank, la Lazio Rome avait évité les deux matchs à huis clos requis par les instances disciplinaires et écopé d’une simple amende de 50 000 euros. Malgré tout, treize supporteurs de la Lazio, identifiés grâce aux images de surveillance, avaient été interdits de stade pour des durées comprises entre cinq et huit ans
     
  • En mai 2017, la Ligue italienne avait en revanche suspendu un joueur de Pescara, le Ghanéen Sulley Muntari, expulsé pour avoir quitté le terrain de Cagliari suite à des cris racistes. Il aura fallu que le syndicat international des joueurs professionnels intervienne pour que la sanction soit annulée.

Les joueurs de la Lazio portant un maillot à l’effigie d’Anne Frank après le détournement de leurs supporteurs. / GIANNI SCHICCHI / AFP

Arrêter les matchs ?

Après les insultes visant Kalidou Koulibaly lors du match Inter Milan-Naples, La Gazzeta dello Sport a écrit, dans son édition du jeudi 27 décembre, « soutenir Koulibaly contre l’arbitre qui n’a pas arrêté la partie » et estimé que, dans de telles circonstances, il convient de mettre un terme au match.

C’est ce qu’il s’était presque produit en 2013, lors d’un match entre l’AC Milan et l’AS Rome : alors que Mario Balotelli (qui jouait à Milan) était la cible de chants racistes, l’arbitre avait interrompu la partie. Momentanément, en attendant une annonce du speaker contre les fautifs.

Mercredi, lors du match Inter Milan-Naples, « on a demandé trois fois la suspension du match et il y a eu trois annonces » du speaker demandant aux supporteurs de cesser leurs manifestations racistes, « mais le match a continué », a déploré l’entraîneur de Naples, Carlo Ancelotti.

Tout en demandant « pardon à Kalidou Koulibaly », le maire de Milan, Giuseppe Sala, a déclaré que, s’il continuera à aller voir les matchs de l’Inter, « aux premiers cris » il fera « un petit geste » :

« Je me lèverai et je partirai. Je le ferai pour moi, conscient du fait que ceux qui lancent ces cris contre un athlète noir n’en auront rien à faire de ma réaction. Mais je le ferai. »

Mort d’un supporteur de Milan

Un supporteur de l’Inter Milan est décédé jeudi 27 décembre dans la matinée après avoir été renversé par un véhicule pendant des affrontements avec des tifosi de Naples mercredi soir avant le match entre les deux équipes. Selon le préfet de police de Milan, les incidents ont été provoqués par une centaine de supporteurs de l’Inter. Armés de chaînes et de marteaux, ils ont attaqué des minibus de fans de Naples, faisant quatre blessés. Un supporteur de l’Inter, âgé de 35 ans, a été renversé par un véhicule. Transporté à l’hôpital, il a succombé à ses blessures.

Trois supporteurs de l’Inter ont été arrêtés. « Ce n’est pas possible de mourir pour un match de foot », a réagi le ministre de l’intérieur, Matteo Salvini, annonçant qu’il convoquera en janvier « les responsables des organisations de supporters de Serie A et B, pour que les stades et leurs alentours redeviennent des lieux de divertissement et non de violence ».