N’Golo Kante (Chelsea) et Paul Pogba (Manchester United) lors du match de première ligue anglaise entre leurs deux clubs, à Stanford bridge (Londres), le 20 octobre. / DYLAN MARTINEZ / REUTERS

Des hommes de base de Didier Deschamps au Mondial, ce sont ces deux-là qui sont tombés du piédestal le plus violemment. N’Golo Kanté et Paul Pogba, idolâtrés de Moscou à Paris, ont été ramenés au rang d’un parmi d’autres par leurs entraîneurs lorsqu’ils ont retrouvé la Premier League. Et tout ce que le football anglais compte de commentateurs – ce qui fait beaucoup – continue, une moitié de saison plus tard, de s’interroger sur leur cas.

Il est encore trop tôt pour dire si l’aventure de Paul Pogba à Manchester United a changé de direction le 18 décembre, lorsque le club s’est séparé de son entraîneur José Mourinho. Mais au moins y a-t-il un changement, sous les ordres du Norvégien Ole Gunnar Solskjaer : Pogba est sur le terrain.

Mercredi 26 décembre, il y était si bien qu’il a inscrit deux buts, s’imposant comme le point central du jeu offensif mancunien et son premier récupérateur de ballons. Elu joueur du match, il a célébré son deuxième but – une frappe des 20 mètres – d’une façon que n’aurait pas reniée Eric Cantona, avec ce soupçon d’arrogance que lui reproche l’Angleterre.

« United doit vendre Pogba »

Car Paul Pogba a une montagne à gravir avant d’être accepté par un football anglais qui, depuis son retour en 2016, ne s’est pas vraiment entiché du personnage. « United a envoyé un message fort en licenciant Mourinho. Il doit être tout aussi fort vis-à-vis de Pogba et le vendre si un club met le prix, a écrit l’ancien joueur de Liverpool Jamie Carragher dans le Telegraph du 19 décembre. Un club ne se résume pas à un joueur. Pogba est peut-être un joueur de très haut niveau mais il ne l’a jamais montré en Angleterre. »

« Un club ne se résume pas à un joueur. Pogba est peut-être un joueur de très haut niveau mais il ne l’a jamais montré en Angleterre »

Les anciens de Manchester United ne sont pas moins tendres. Ses déclarations visant la frilosité de Mourinho, comme les anecdotes distillées par l’entourage du Portugais à la presse, ont contribué à renforcer l’image – qu’il avait déconstruite durant le Mondial – d’un joueur égoïste et incapable de tirer son équipe vers le haut. Les consultants le soupçonnent aussi de se voir plus grand que le club, lui qui se définit, sur son compte Twitter, comme ambassadeur d’Adidas et non comme joueur des Red Devils.

« Paul adore jouer pour ce club, c’est un joueur de Man(chester) United dans l’âme, un gars qui sait ce que c’est que d’y jouer », l’a défendu Solskjaer, qui fit office, durant onze saisons, de remplaçant de luxe sous Alex Ferguson, le légendaire manageur du club. En août, alors entraîneur de Mölde, Solskjaer n’avait pas caché que s’il était sur le banc de Manchester, il construirait l’équipe autour de lui. En deux matchs, c’est ce qu’a commencé à faire le Norvégien, lui qui, en 2009, avait fait faire à Pogba ses premiers pas dans la réserve de Manchester United à l’âge de 16 ans.

« Il en a fait le principal milieu créateur de United, le déclencheur de situations dangereuses, observe Julien Momont, analyste tactique de la Premier League chez RMC Sport. Le simple fait d’avoir une animation de jeu plus ambitieuse permet à Pogba d’exprimer son talent plus haut et de se retrouver dans la zone qu’il connaissait à la Juventus Turin [2012-2016]. »

Kanté, un rôle loin d’être sur mesure

Ces trente derniers mètres face au but adverse, son compatriote N’Golo Kanté les côtoie plus régulièrement depuis que Chelsea a nommé Maurizio Sarri entraîneur à l’intersaison. Son statut de meilleur joueur du club n’a pas empêché le Français d’être délogé de son rôle de milieu récupérateur, celui qu’il occupe aussi avec les Bleus. Depuis août, sur les plateaux de télévision, dans les colonnes d’experts et les podcasts spécialisés, on s’échine à expliquer les intentions du technicien italien avec force statistiques et « heatmaps », ces infographies représentant la zone d’activité d’un joueur sur un terrain.

Kanté ne sort jamais de l’équipe mais Sarri ne dissimule plus son impatience vis-à-vis du Français, encore dans l’apprentissage tactique de ce nouveau rôle

De Naples, Maurizio Sarri a importé un schéma qui n’est pas celui dans lequel Kanté est devenu le meilleur récupérateur du monde. L’ancien banquier, adepte du jeu de possession, veut une sentinelle capable de briser les lignes adverses avec sa première passe. Et il l’a fait venir de Naples : le Brésilien Jorginho. « Kanté n’est pas assez technique pour jouer dans cette position », maintient l’Italien, qui le positionne un peu plus haut, à droite. Kanté ne sort jamais de l’équipe mais Sarri ne dissimule plus son impatience vis-à-vis du Français, encore dans l’apprentissage tactique de ce nouveau rôle qui implique davantage de responsabilités offensives et de prises de risques.

« C’est une zone où il faut aller très vite techniquement et réussir à faire des différences, analyse Julien Momont. Kanté ne pêche pas par manque d’intelligence, car il fait les bonnes courses ni d’implication, car il fait tous les efforts. Mais il n’a pas encore tous ses repères. » Ce qui frappe, toutefois, c’est l’obstination que met le double champion d’Angleterre à s’adapter à un rôle éloigné, au moins dans l’esprit, de celui qui l’a propulsé parmi les meilleurs joueurs du monde. Et ce, sans qu’il ait eu son mot à dire. « Ce n’est pas un regret. J’apprécie de jouer à cette position un peu plus haut, d’accompagner les attaques, de revenir parfois quand il faut défendre. Je me plais bien dans ce nouveau registre », assurait N’Golo Kanté en septembre à RMC Sport. Il a, depuis, prolongé son contrat à Chelsea, ce qui fait de lui l’un des cinq plus gros salaires de Premier League. Signe que les Blues sont, à son sujet, plein de certitudes.