Manifestations à Khartoum, le 25 décembre. / Mohamed Nureldin Abdallah / REUTERS

Plusieurs manifestations antigouvernementales dans des villes du Soudan, après la prière du vendredi 28 décembre, ont été vigoureusement réprimées par la police, qui a interpellé un leader de l’opposition. Les forces de l’ordre ont également arrêté un groupe de rebelles darfouriens qui prévoyaient de « tuer des manifestants », a indiqué à la presse un porte-parole du gouvernement.

Depuis le 19 décembre, le pouvoir du général Omar el-Béchir est confronté à une vague de manifestations à travers le pays, parfois réprimées dans le sang. La violence a été dénoncée par le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres. Dans un communiqué, il « appelle au calme et à la retenue et demande aux autorités de mener une enquête approfondie sur les morts et la violence », et « souligne la nécessité de garantir la liberté d’expression et de rassemblement pacifique ».

Eviter l’escalade de violence

Aristide Nononsi, expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l’Homme au Soudan, a exhorté « avec force les services de sécurité soudanais à la retenue pour éviter une escalade des violences et à prendre des mesures immédiates pour protéger le droit à la vie des manifestants ».

La contestation se concentre autour du prix du pain, alors que le Soudan connaît un marasme économique aggravant la pauvreté.

Au moins 19 personnes, dont deux membres des forces de sécurité, ont été tuées lors d’affrontements en marge de ces manifestations, selon les chiffres officiels. La plupart des manifestants ont été victimes d’« incidents liés au pillage », avait affirmé jeudi le porte-parole du gouvernement, Boshara Juma. « La police a capturé 10 personnes affiliées au groupe ALS/Abdel Wahid et saisi 14 Kalashnikovs et 1 000 munitions », a annoncé lors d’une conférence de presse Mamoun Hassan, ministre d’État à l’information, en précisant que des ordinateurs avaient également été confisqués. « Des documents trouvés sur les ordinateurs indiquent que ces personnes avaient l’intention de tuer des manifestants », a précisé M. Hassan.

Gaz lacrymogènes

Plusieurs bâtiments du parti d’Omar el-Béchir, le Congrès national, avaient été pris d’assaut et brûlés par des manifestants lors des premiers jours des manifestations, qui se sont propagées dans des villes et villages soudanais avant d’atteindre la capitale Khartoum. Selon le chef des services de sécurité, des membres du groupe rebelle étaient responsables de ces violences.

L’Armée de libération du Soudan (ALS) d’Abdel Wahid Mohammed al-Nour et d’autres groupes rebelles affrontent les autorités soudanaises au Darfour (ouest) depuis 2003 sur fond de tensions ethniques.

Vendredi à Omdourman, ville jumelle de Khartoum, située sur la rive occidentale du Nil, des centaines de fidèles sortant d’une mosquée du parti Oumma, principal parti de l’opposition, ont scandé « Liberté, paix, justice », avant l’intervention des forces anti-émeutes qui ont dispersé la foule à coups de gaz lacrymogènes, selon des témoins. Les forces anti-émeutes ont également fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser des manifestants à Port-Soudan, Madani et Atbara, ville de l’est du pays où a débuté le mouvement de contestation, selon des témoins.

Des photos publiées par des militants sur les réseaux sociaux montrent d’épaisses colonnes de fumée s’élevant de plusieurs quartiers de Khartoum, alors que les manifestants ont brûlé des poubelles et des pneus. Policiers et officiers des services de sécurité ont été déployés dans plusieurs secteurs de la capitale.

Arrestations de journalistes

Réunis jeudi soir, des groupes d’opposition avaient appelé à poursuivre les manifestations dans les jours à venir, a indiqué le Parti communiste dans un communiqué. Plusieurs membres de formations de l’opposition ont été arrêtés en marge des manifestations.

Le Parti du Congrès soudanais a ainsi indiqué que quelques heures après le début des manifestations vendredi, son chef Omar el-Digeir avait été arrêté par les services de sécurité. « Il a été emmené vers une destination inconnue », a affirmé le parti dans un communiqué.

L’Association des écrivains soudanais a pour sa part annoncé l’arrestation mardi du poète Mohamed Taha, qui avait participé à une manifestation. « Nous ignorons où il se trouve », a-t-elle affirmé. Le réseau des journalistes soudanais a fait état de l’arrestation de deux journalistes.

Sur décision du gouvernement, le prix du pain est passé mi-décembre d’une livre soudanaise (1 centime d’euro) à trois livres, tandis que le prix du carburant grimpait également, provoquant la colère de la population. Au-delà des revendications sociales, parmi les manifestants certains réclament aussi « la chute du régime », slogan du Printemps arabe en 2011, du président Béchir, au pouvoir depuis 1989. Amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, le pays a vu l’inflation s’établir à près de 70 % annuels, tandis que la livre soudanaise plongeait face au dollar américain.