Lycéennes à Conakry, capitale de la Guinée, le 15 décembre 2017. / Vincent Tremeau/FFMUSKOKA

Lettre ouverte au président Alpha Condé.

Votre Excellence Monsieur le Président de la République de Guinée,

Je vous écris pour attirer votre attention sur la situation alarmante des jeunes filles de notre pays. Depuis quelques années, il connaît une recrudescence des violences faites aux femmes, notamment au travers du mariage d’enfants, des mutilations génitales, des abus sexuels.

Ces situations tragiques constituent une grave violation des droits humains et une menace à l’intégrité physique et morale des victimes.

Aujourd’hui, il y a urgence. La presque totalité de nos fillettes subissent des mutilations génitales (97 %), et notre Guinée occupe toujours le deuxième rang mondial des pays qui font perdurer cette pratique. Nos mamans subissent toute leur vie les conséquences de ces mutilations. Certaines souffrent d’une stérilité irréversible, d’autres connaissent le malheur et la douleur d’être privées d’une sexualité satisfaisante pour elle et pour leur mari. Et beaucoup meurent en accouchant.

Après la mort de cette petite de 10 ans le 17 août 2016 à Koropara, dans la région de Nzérékoré, le gouvernement s’était engagé à œuvrer sans relâche contre cette ignoble pratique et à en traduire en justice les auteurs et complices. Car l’excision est bien souvent pratiquée au sein de « camps de vacances » au vu et au su de tous, mais personne n’a le courage de les dénoncer.

Traumatisées à vie

Monsieur le Président, combien de petites filles sont violées tous les jours dans notre pays,
malgré la ratification par la Guinée des conventions relatives aux droits de l’enfant ? Ces crimes horribles restent encore largement impunis et nombreuses sont les victimes qui sont montrées du doigt comme si elles étaient les fautives d’actes qu’on leur a fait subir.

La honte doit changer de camp. La loi doit être strictement appliquée contre les auteurs de viols. Sinon, que deviendront ces jeunes filles innocentes violées et parfois même engrossées par un proche, un père, un oncle, un ami de la famille ? Que répondrons-nous à ces victimes traumatisées à vie ? Que ceux qui sont censés nous protéger peuvent nous violer et nous détruire en toute impunité ?

Monsieur le Président, je suis meurtrie. Meurtrie par la souffrance de toutes ces fillettes que je côtoie quotidiennement dans mon travail avec le Club des jeunes filles leaders de Guinée. Meurtrie de constater que, tous les jours, dans nos villages, nos leaders religieux règlent ces crimes à l’amiable et que leurs auteurs puissent continuer à jouir de la vie.

Et que dire des mariages précoces ? Que dire de nos parents pris dans une course de vitesse pour nous marier à l’âge de 12 ans alors que la loi guinéenne nous protège en son article 320 du Code pénal qui proscrit toute union avant 18 ans. Le manque de connaissance et d’application de nos lois aboutit à ce que 51 % des jeunes filles de Guinée soient mariées avant l’âge de 18 ans et 19 % avant 15 ans, selon les dernières statistiques de l’Unicef. En discutant et en convainquant des parents attentifs, nous parvenons à sauver tous les jours nombre de jeunes filles d’un mariage précoce, mais c’est bien peu au regard du plus d’un million de Guinéennes forcées de prendre époux trop tôt.

Monsieur le Président, l’heure est très grave !

Il faut que le pays fasse de la protection de ses jeunes filles une priorité nationale, car nous restons parmi les plus vulnérables de la société alors que nous devrions pouvoir participer, grâce à une éducation inclusive et de qualité, au développement de notre chère Guinée.

Hadja Idrissa Bah, Guinéenne âgée de 19 ans, a créé en 2016 le Club des jeunes filles leaders de Guinée proposant des cellules d’écoute et des actions de sensibilisation pour lutter notamment contre les mariages forcés, les viols conjugaux et les mutilations génitales.

Cette série a été réalisée dans le cadre d’un partenariat avec le Fonds français Muskoka.