Lors d’une messe en mémoire de Jeanne Calment, en la cathédrale Saint-Trophime d’Arles, le 7 août 1997. / GEORGES GOBET / AFP

Elle aimait dire que « Dieu l’avait oubliée ». Mais quel âge avait vraiment Jeanne Calment à sa mort ? En 1997, elle est officiellement âgée de 122 ans et 164 jours lorsqu’elle s’éteint, à Arles, sa ville de naissance. Mme Calment est toujours considérée comme détenant le record mondial de longévité humaine, tous sexes confondus.

Or plus de deux décennies après sa mort, des chercheurs russes contestent la date de naissance officielle de celle qui est considérée comme la doyenne de l’humanité. Soutenu par le gérontologue Valeri Novosselov, le mathématicien Nikolaï Zak, a publié récemment une étude dont la thèse a de quoi surprendre : Jeanne Calment ne serait pas morte à la fin du XXe siècle, mais en 1934, et c’est sa fille Yvonne qui aurait alors usurpé son identité jusqu’à sa mort à l’âge de 99 ans. Son but : éviter de payer les droits de succession de sa défunte mère.

Mathématicien, M. Zak a commencé à enquêter sur la vie de Jeanne Calment alors qu’il œuvrait à la création d’un modèle mathématique portant sur la durée de vie des « supercentenaires », comme on appelle les personnes qui atteignent un âge supérieur à 110 ans. « Plus je fouillais, plus je découvrais de contradictions », a déclaré M. Zak à l’Agence France-Presse. Les travaux de M. Zak ont été publiés sur le site ResearchGate, un réseau international pour chercheurs et scientifiques. Ils s’appuient sur l’analyse de biographies, d’interviews, de photographies de Jeanne Calment, de témoignages de ceux qui l’ont connue ainsi que sur les archives de la ville d’Arles.

Fraude

Parmi les 17 éléments que présente le chercheur figure une copie de la carte d’identité de Jeanne Calment datant des années 1930 où la couleur de ses yeux (noirs), sa taille (1,52 m) et la forme de son front ne correspondent pas à celles de la doyenne française au cours des dernières années de sa vie. « En tant que médecin, j’ai toujours eu des doutes sur son âge. L’état de ses muscles était différent de celui des autres doyens. Elle se tenait assise sans aucun soutien. Elle n’avait aucun signe de démence », estime M. Novosselov, qui dirige la section gérontologique au sein de la Société des naturalistes de Moscou.

Au cours de ses recherches, M. Zak a consulté un livre paru en 1997, L’Assurance et ses secrets, qui évoque dans un bref passage le cas de Jeanne Calment et soulève déjà l’hypothèse d’une substitution d’identités entre la mère et la fille. L’auteur du livre, Jean-Pierre Daniel, raconte qu’un contrôleur des sociétés d’assurance, se penchant sur le viager signé par la centenaire, avait déjà conclu à une fraude. « Mais à l’époque Jeanne Calment était déjà considérée comme une idole nationale. Ce fonctionnaire a interrogé son administration, qui a répondu qu’il fallait continuer à payer la rente. Il n’était pas question de faire un scandale avec la doyenne des Français », a-t-il expliqué à l’AFP.

Lundi 31 décembre, Le Parisien a publié le témoignage d’un haut fonctionnaire du ministère des finances chargé de suivre les dossiers de la compagnie d’assurance qui a signé le contrat avec Jeanne Calment :

« L’assurance nous a fait part de ses doutes sur la véracité de l’histoire de Jeanne Calment. Mais, dans mes souvenirs, elle n’avait pas monté un énorme dossier la concernant. Elle voulait juste affirmer à Bercy qu’elle n’y croyait pas d’un point de vue statistique. Et se couvrir en quelque sorte. (…) Disons qu’on a vu passer le dossier et qu’on a fermé les yeux. Je n’ai pas le souvenir d’ordre particulier, mais ni nous, ni l’assurance n’avons donné suite à cette histoire. Elle a donc continué de payer sans faire d’histoire. »

« Travaux diffamatoires »

Après la mort de Jeanne Calment, des scientifiques avaient déjà regretté qu’aucune autopsie n’ait été menée pour expliquer la longévité exceptionnelle de celle qui, bien qu’officiellement centenaire, se laissait aller à ses penchants pour le chocolat et le porto et se permettait une cigarette de temps en temps, avant que son état de santé ne se dégrade. Alimentant les doutes, Jeanne Calment avait ordonné de brûler une partie de ses archives photos quand elle est devenue célèbre, selon les chercheurs russes.

Dénoncé comme un texte à charge par ses détracteurs, le document est néanmoins jugé crédible par certains scientifiques qui relèvent les limites des validations des records de longévité. Interrogé par l’AFP, le démographe et gérontologue français Jean-Marie Robine, qui avait participé à la validation par le Livre Guinness des records de l’âge de Jeanne Calment, assure n’avoir « jamais eu aucun doute sur l’authenticité des documents » de cette dernière. M. Zak, qui « n’examine jamais les faits en faveur de l’authenticité de la longévité de Mme Calment, m’apparaît diffamatoire vis-à-vis de sa famille », assure-t-il.

Analyse ADN

Le maire d’Arles à l’époque de la mort de Jeanne Calment, Michel Vauzelle, juge quant à lui que la théorie russe est « complètement impossible et invraisemblable » parce que Jeanne Calment était suivie selon lui par de nombreux médecins. « L’idée d’usurpation d’identité avait déjà été envisagée par les validateurs [sic] et j’invitais régulièrement les démographes à conserver cette hypothèse », tempère Nicolas Brouard, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques en France. « C’est bien que Nikolaï Zak ait mené une recherche indépendante et sur le même terrain d’investigation. C’est un très bon travail et un argument en faveur de l’exhumation des corps de Jeanne et Yvonne Calment », assure-t-il à l’AFP. Selon lui, seule une analyse des ADN mettra un point final à cette affaire.

Le démographe belge Michel Poulain, professeur de l’université de Louvain, salue, lui, une « investigation aussi détaillée », qui montre pour lui la nécessité de « réinvestir scientifiquement pour valider l’âge exceptionnel de ces supercentenaires » « La probabilité d’un âge erroné augmente de façon exponentielle avec l’âge présumé », explique-t-il. Des membres de la famille éloignée de Jeanne Calment n’ont pas donné suite aux demandes d’interview de l’AFP.