La première ministre roumaine, Viorica Dancila, au côté du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à Bruxelles, le 28 février 2018. / JOHN THYS / AFP

Editorial du « Monde ». « Le gouvernement de Bucarest n’a pas encore pleinement compris ce que signifie présider les pays de l’Union européenne. » Les propos de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, donnent la mesure de l’ambiance inquiétante dans laquelle la Roumanie a pris, mardi 1er janvier, sa première présidence tournante de l’UE.

Techniquement, le pays est prêt. Le problème est politique. Depuis sa victoire aux législatives de 2016, le Parti social-démocrate (PSD) s’est lancé dans une vaste offensive contre la justice roumaine dans un but inavoué : épargner la prison à son leader, Liviu Dragnea, président de la Chambre des députés, à défaut d’avoir pu être premier ministre.

L’homme fort du pouvoir roumain est en train de faire basculer la Roumanie dans le camp des pouvoirs souverainistes d’Europe centrale qui n’hésitent pas à fragiliser l’Etat de droit, sur le modèle de la Pologne et de la Hongrie. Et l’arrivée de Bucarest à la présidence de l’UE tombe précisément à un moment-clé : non seulement les Européens sont appelés aux urnes au mois de mai pour élire leurs représentants, mais Bucarest devra décider ces prochains mois s’il inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen la procédure de sanction contre Varsovie et Budapest pour atteinte à l’indépendance de la justice.

Dans le cas roumain, il est certes moins question d’idéologie que de basse tactique, mais les conséquences en sont comparables. Dans un pays jusqu’ici profondément pro-européen, le PSD a réussi à faire progresser l’euroscepticisme en prenant Bruxelles pour cible. Les discours sur « l’influence de l’étranger » trouvent un écho chez les Roumains les plus pauvres et les plus ruraux, choyés par le pouvoir, tandis que les classes moyennes et aisées plus urbaines sont fatiguées de descendre dans la rue pour protester.

L’arme de l’argent

La Commission européenne n’est certes pas restée complètement inactive. Dans un long rapport, elle a fait la liste en novembre 2018 de toutes les réformes adoptées depuis deux ans qui posent problème, et a appelé à les annuler. Mais elle se garde de déclencher la procédure dite « article 7 », qui permet de sanctionner les Etats piétinant leurs institutions. Le blocage de ces procédures pour la Pologne et la Hongrie, faute de majorité suffisante parmi les Etats de l’UE, n’incite pas à y ajouter un troisième pays.

Il ne faudrait toutefois pas penser qu’il n’y a aucun moyen d’action. En saisissant la Cour de justice de l’UE, la Commission a récemment réussi à faire reculer Varsovie, qui voulait mettre d’office à la retraite les juges de la Cour suprême. Cette décision et ses conséquences ont été attentivement observées par les magistrats roumains, qui sont beaucoup à espérer d’un tel recours.

L’autre arme est celle de l’argent. Le cas roumain est le symbole parfait de ces souverainistes qui s’enrichissent sur le dos de l’UE tout en la prenant pour cible. Dans un des dossiers de corruption qui le menace, Liviu Dragnea est accusé d’avoir participé au détournement de 21 millions d’euros de fonds européens.

Les services antifraude de la Commission européenne ont transmis le dossier à la justice roumaine. Ils attendent sa décision avant de décider d’éventuelles sanctions financières. Mais le pouvoir judiciaire étant sous la pression de l’exécutif, il serait dangereux pour la Commission d’attendre. L’UE ne peut certes pas empêcher un de ses membres d’assurer sa présidence tournante, mais elle n’est pour autant pas forcée de se montrer naïve face à ceux qui la menacent de l’intérieur.