La SM 237, première voiture fabriquée au Cameroun, à Baffousam, le 29 décembre 2018. / Josiane Kouagheu

Joseph Koagne n’en revient pas. « C’est la première fois que je vois une voiture fabriquée par un Camerounais », s’extasie l’enseignant, admirant l’engin dans le quartier administratif de Bafoussam, chef-lieu de la région de l’Ouest, au Cameroun. Il effleure avec précaution la carrosserie, poussant de petits cris admiratifs, lui qui ne rêvait que de la toucher depuis qu’il l’a vue sur Facebook. Là voilà face à lui ce samedi 29 décembre. Volant, tableau de bord, sièges en cuir… Il dévore tout des yeux avant de sortir son smartphone pour des dizaines de photos de cette auto stylée façon Mini Moke, un petit pick-up tout-terrain.

Etonnement, émerveillement et, finalement, fierté nationale… Tous les passants ont les mêmes réactions, suivies du même « C’est vraiment vous qui l’avez fabriquée ? » lancé à Cédric Simen. Depuis deux semaines, cet homme de 27 ans au sourire contagieux est la coqueluche des réseaux sociaux camerounais. Sa SM 237 (un nom tiré de son patronyme, Simen, et de l’indicatif téléphonique du Cameroun), petite voiture deux-places qui semble davantage pensée pour les plages que pour les rues poussiéreuses, crée le buzz.

« Je suis devenue une star, avoue-t-il, un peu dépassé par cette soudaine notoriété. Sur Facebook, dans les rues, on m’interpelle, on me félicite, on m’embrasse avant la sempiternelle photo. Beaucoup me disent qu’ils sont fiers de moi. Je reçois des appels du Cameroun, du Bénin, de Côte d’Ivoire, de France, de Belgique… de partout ! » Et d’ajouter dans un éclat de rire : « Moi je voulais juste réaliser mon rêve d’enfant, construire ma propre voiture et la conduire. »

« Les modèles de mes rêves »

Petit, Cédric Simen n’aimait pas l’école. Il séchait les cours pour aller chercher des bambous avec lesquels il fabriquait des véhicules qu’il offrait à ses amis à Bangangté, à 50 km au sud de Bafoussam. « J’inventais les modèles de mes rêves », se souvient celui qui se rendait régulièrement à l’atelier de tôlerie de son oncle pour l’observer travailler durant des heures. Surnommé « le rebelle » par ses parents, il abandonne quitte l’école au CM2 après son échec au certificat d’études primaires, pour apprendre la mécanique dans un garage auto.

Là, le garçon fait des merveilles. Un jour, un inconnu de passage, ébloui par son talent, le prend sous son aile. « Il était mécanicien, responsable logistique d’une entreprise de travaux publics, précise Cédric Simen. Il m’a appris à dépanner des Caterpillar et autres gros engins. Ensemble, nous avons voyagé dans plusieurs localités de l’Ouest. » En 2008, lorsque la société ferme ses portes, il s’installe à son propre compte à Bafoussam.

Cédric Simen achète plusieurs voitures, les retravaille à sa manière en modifiant la suspension, en adaptant les roues… « J’avais toujours quelque chose à changer », sourit-il. En 2018, il se sent enfin prêt à réaliser son rêve d’enfant. Il a économisé 2,5 millions de francs CFA (environ 3 800 euros) et va créer sa propre automobile. Dans un clip du chanteur ivoirien Safarel Obiang, il a vu une voiture de plage qui lui a plu et décide d’en créer une du même style, « mais plus belle, plus résistante et capable de rouler sur des routes sablonneuses et montagneuses, dit-il. Je voulais une voiture tout-terrain ».

Moqueries de ses proches

Tout le monde le décourage. Ses amis le traitent de fou, d’inconscient, d’attardé, voire pire… Les membres de sa famille le supplient d’utiliser cet argent pour faire quelque chose de vraiment utile. Autour de lui, c’est la dissuasion générale. « Je ne croyais pas en lui, j’étais convaincu que son projet était du gaspillage inutile. Lorsque j’ai vu la coque du véhicule, j’étais sûr qu’il n’avancerait pas… Je me suis trompé », reconnaît Elvis Zemekel, un mécanicien proche de l’inventeur.

Avec « l’unique et seul soutien » de son épouse, Cédric Simen s’entête pourtant. Début novembre, il achète fer, tubes, tôles, baguettes de soudure, disques, tuyaux ; il monte, démonte, soude… sous les moqueries de ses proches. « Il rentrait frustré. Mais je l’ai toujours encouragé, car j’étais convaincue du talent de mon mari, se rappelle Vanessa Goumleu. C’était le plus grand et le plus vieux de ses rêves. Il est tellement passionné que je savais qu’il allait y arriver. »

Un mois et demi plus tard, la voiture roule dans les rues de Bafoussam. « J’ai entièrement conçu et fabriqué la coque. J’ai acheté certaines pièces originales comme le moteur, les amortisseurs, le volant. C’est une voiture qui peut être utilisée par tout le monde, les touristes comme les particuliers », souligne le fabriquant, qui n’a pas dit son dernier mot. Le nouveau rêve de Cédric Simen est de construire des véhicules neufs, peu chers et peu polluants. « Je modifie ma SM 237 tous les jours, confie-t-il. Je veux y installer un moteur électrique. Car la pollution est un handicap pour notre environnement et notre pays importe trop de voitures d’occasion, déjà très vieilles. »

Besoin de financements

En 2015, Méfiro Oumarou, alors ministre délégué auprès du ministre des transports, assurait que « 92 % du parc automobile camerounais est constitué de véhicules de seconde main qui ont plus de 15 ans ». En 2011, le gouvernement avait annoncé la construction d’une usine d’assemblage de voitures « made in Cameroon » dont la production devrait commencer à l’horizon 2020. Cédric Simen aimerait bien travailler avec l’Etat, en qui il a confiance « malgré ses imperfections ».

En attendant, il croule sous les propositions : des commandes du Cameroun, du Bénin et de Côte d’Ivoire, des sollicitations de partenaires étrangers qui proposent des moteurs électriques ou leurs services… Mais le garçon est méthodique. « D’abord je dépose le brevet de ma marque, ensuite je cherche des financements. J’ai des centaines de modèles de voitures que je pourrais fabriquer sur place pour beaucoup moins cher. Il y a une clientèle. Mais pour ça j’ai vraiment besoin de financements », assure-t-il en s’engageant dans les rues de Bafoussam au volant de son petit bolide.

Sur son passage, les conducteurs de motos-taxis et les autres automobilistes l’accompagnent et le félicitent à coups de klaxons. Dès qu’il se gare, une grappe d’admirateurs accourt. « Cette voiture ne laisse personne indifférent, c’est un peu la voiture du Cameroun », dit-il comme une évidence. Sur les réseaux sociaux, la fierté transparaît aussi dans les commentaires. « Tu es une réponse à la question : y a-t-il encore de l’espoir au Cameroun ? Je te souhaite une belle réussite et que tu sois un exemple pour de nombreux jeunes », réagit un internaute. « Merci mon frère pour l’honneur que tu fais au Cameroun », commente un autre. De quoi commencer 2019 au Cameroun sur une note d’optimisme.