Les partisans de Marc Ravalomanana fuient les gaz lacrymogènes tirés par les forces de l’ordre lors d’une manifestation pour dénoncer les résultats de l’élection présidentielle, à Antananarivo, le 2 janvier 2019. / MAMYRAEL / AFP

Antananarivo, ce jeudi 3 janvier. Perchés sur une estrade, les partisans de Marc Ravalomanana affichent sur un écran géant leurs preuves des fraudes au second tour de l’élection présidentielle à Madagascar. Est également diffusée une vidéo montrant une correspondante de RFI en train d’interviewer le mandataire de Marc Ravalomanana, Andry Rakotomalala, à la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le 25 décembre.

« La journaliste traduit mal. Elle a menti », accuse Me Hanitra Razafimanantsoa devant près de 600 personnes, alors que la reporter est présente dans la foule. La députée du TIM, le parti de Marc Ravalomanana, est aussi l’une de ses avocates. Sur les réseaux sociaux, les correspondantes de TV5 Monde et de France 24 ont aussi été accusées d’avoir annoncé la victoire d’Andry Rajoelina trop tôt. Des accusations infondées et dangereuses dans un contexte politique instable.

Recours en annulation

Les partisans de Marc Ravalomanana, les députés du TIM et quelques communicants ont appelé à protester contre les résultats provisoires de la CENI, qui a annoncé, jeudi 27 décembre, la victoire d’Andry Rajoelina avec 55,66 % des voix.

Mercredi, une manifestation interdite par la préfecture a dégénéré en un chassé-croisé de plusieurs heures entre manifestants et forces de l’ordre, à coups de bombes lacrymogènes et de balles en caoutchouc, faisant au moins six blessés et trois arrestations. Samedi, des milliers de partisans de l’ancien chef de l’Etat (2002-2009) étaient déjà descendus dans la rue pour contester les résultats de l’élection présidentielle, qu’ils estiment truquée. Une manifestation non autorisée, elle aussi, mais qui s’est pourtant déroulée dans le calme.

Les députés du TIM ont prévu de faire durer le rassemblement chaque jour jusqu’au 8 janvier, date de la proclamation (à 15 heures) des résultats définitifs par la Haute Cour constitutionnelle (HCC), la plus haute instance juridique du pays, qui statuera en même temps sur les requêtes déposées par le camp Ravalomanana. Si celui-ci a annoncé 1 500 recours en annulation lors d’un rassemblement le 29 décembre, seulement 200 ont été dénombrés par la HCC à la clôture du délai, deux jours plus tard.

« Nous avons déposé des requêtes en annulation motivées par différents types de fraude, explique Me Hasina Andriamadison, l’un des avocats de Marc Ravalomanana. Les plus notables restent celles à la carte d’identité et à la carte d’électeur. Il y avait aussi des bulletins précochés, d’autres qui ne comportaient pas de numéro de série… sans compter une liste électorale incohérente, avec des personnes rajoutées entre le premier et le second tours. »

Jouer sur deux tableaux

Les partisans de Ravalomanana n’ont pas attendu les résultats provisoires de la CENI pour préparer l’opinion publique à une contestation du scrutin. Le 17 décembre, soit deux jours avant le second tour, une délégation de l’ancien chef de l’Etat avait déposé une plainte auprès de la CENI contre une fabrication massive de fausses cartes d’électeurs et de fausses cartes d’identité, spécimens en main. La délégation avait aussi été reçue par le président de la République par intérim, Rivo Rakotovao.

Lors du rassemblement du 29 décembre, Hanitra Razafimanantsoa a en outre accusé le vice-président de la CENI, Thierry Rakotonarivo, d’avoir fait obstruction au processus électoral. En cause, un incident survenu mercredi 26 décembre vers minuit dans les locaux de la CENI, où ce dernier aurait interdit à l’équipe légale de Marc Ravalomanana de poursuivre la confrontation des documents électoraux, car la proclamation des résultats provisoires avait lieu le lendemain. Or la CENI avait jusqu’au 1er janvier, selon la loi organique, pour délivrer les résultats : cette précipitation a provoqué l’ire du clan Ravalomanana.

« La CENI avait fini le traitement des résultats le mardi 25 décembre à 17 heures et on aurait dû publier les résultats dans la foulée le mercredi matin, explique un cadre de la commission électorale qui préfère rester anonyme. Mais on a octroyé une faveur extralégale au clan Ravalomanana : la loi prévoit en effet la confrontation des procès-verbaux, mais pas du reste des documents électoraux, ce qu’ils ont obtenu. Au nom de la transparence, on les a laissé faire. Mais on ne pouvait pas attendre plus, parce que des suspicions de rétention allaient venir : “Que fait la CENI ? Pourquoi ne publie-t-elle pas les résultats alors que le processus est terminé ?” »

Le jour du scrutin, Marc Ravalomanana a déclaré qu’il accepterait les résultats « si les conditions de l’élection étaient respectées ». Une ambiguïté qu’il a continué de cultiver jusqu’à jouer sur deux tableaux : celui de la justice et celui de la rue. Dans une lettre adressée à la communauté internationale lundi et exposant les motifs de ses réclamations devant la HCC, le candidat s’engage pourtant à « éviter une autre crise et des violences à Madagascar ».