On la disait anémique et résistante aux traitements, mais la grande malade bouge encore. Pour la première fois depuis six ans, l’inflation en France a approché en 2018 du seuil symbolique des 2 %, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Une hausse des prix qui s’est fait particulièrement sentir à l’été et a pesé sur le pouvoir d’achat. Mais le pic est vraisemblablement passé : l’indice a reflué ces derniers mois, ne progressant plus en décembre que de 1,6 % sur un an, selon les données provisoires publiées vendredi 4 janvier. Un ralentissement qui devrait se poursuivre en 2019.

On le sait : l’essentiel des augmentations a touché les carburants et les produits alimentaires. Les données détaillées manquent pour le mois de décembre 2018, mais celles de novembre, diffusées par l’Insee, montrent une flambée du prix du beurre de 9,6 % sur un an et de 13,8 % pour les pommes de terre. Première cause de la mobilisation des « gilets jaunes », les tarifs du gazole ont, eux, progressé de 16,7 %. Ceux de l’essence de 5,8 %…

Une exception française ? Loin de là. D’après la Banque centrale européenne (BCE), le taux d’inflation de la zone euro a tutoyé 1,8 % en 2018. « La particularité, chez nous, c’est que les taxes sur les carburants et le tabac ont amplifié le phénomène », note Denis Ferrand, directeur général de l’institut Rexecode. Et l’évolution des revenus n’a pas permis de suffisamment compenser ces pertes pour les ménages.

Tassement des prix de l’énergie et du tabac

Inflation oblige, le salaire mensuel de base réel (celui qui ne tient compte ni des primes ni des heures supplémentaires) a légèrement baissé en 2018, de l’ordre de – 0,1 % selon l’Insee. Quant au salaire moyen par tête (l’indicateur qui couvre pratiquement l’ensemble des rémunérations), il n’augmente que de 0,4 %.

Difficile, dans ces conditions, de faire fructifier ses économies. Le taux de rémunération du Livret A, comme celui du Livret de développement durable et solidaire, est fixé à 0,75 % par le gouvernement et donc bien en deçà de l’inflation observée l’an passé. L’Association nationale de défense des consommateurs et des usagers CLCV a dénoncé dans un communiqué début janvier « une dévalorisation historique de l’épargne des classes moyennes et populaires ». D’après François Carlier, le délégué général de l’organisation, le manque à gagner, en termes de pouvoir d’achat, avoisinerait les 3,6 milliards d’euros.

De quoi alimenter la défiance des bénéficiaires de pensions de retraite, d’allocations familiales et d’allocations logement. Ces dernières, qui n’ont pas progressé au même rythme que l’indice des prix en 2018, ne devraient être revalorisées que de 0,3 % cette année. La perte, toutefois, devrait être beaucoup plus mesurée.

D’après l’Insee et la plupart des économistes, l’inflation ralentirait nettement en 2019. D’ici à juin, elle approcherait 1 %, du fait du tassement des prix de l’énergie et du tabac, ainsi que du gel de la fiscalité énergétique et des tarifs du gaz et de l’électricité. Une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat des ménages, qui sera par ailleurs boosté par les mesures de soutien annoncées en décembre (hausse de la prime d’activité, défiscalisation et exonération des heures supplémentaires, prime exceptionnelle).

Recul du baril de pétrole

« Ce qu’on a vécu en 2018, c’est moins une accélération de l’inflation qu’une hausse des prix momentanée », estime Denis Ferrand. Si le coût des services s’est un peu renchéri, ce sont surtout les prix de l’énergie qui ont tiré les courbes. Ils sont responsables de près de la moitié des augmentations de l’indice, du fait de l’envolée du pétrole. Mais le marché s’est retourné depuis.

Passé de 60 à 85 dollars entre février et début octobre 2018, le baril avoisinait fin décembre les 55 dollars. Un effondrement de 35 % en trois mois qui ne s’est pas encore vu dans les stations-service. « Il y a souvent un décalage, explique Stéphane Colliac, économiste auprès de l’assureur-crédit Euler Hermes. La majeure partie de la baisse n’est pas advenue. Elle sera plus forte en janvier et devrait se poursuivre jusqu’en août 2019. »

Ces variations parfois brutales donnent une image déformée de l’indice des prix. L’inflation dite sous-jacente, celle qui exclut les fluctuations de l’énergie et des matières premières, en dit davantage sur l’état de santé réel de l’économie. En 2018, cette inflation-là n’aurait pas dépassé 0,8 % et devrait atteindre 1,2 % à la mi-2019, selon l’Insee. Une cible meilleure que les microscopiques paliers atteints ces dernières années, mais loin des 2 % autour desquels l’évolution des prix est jugée saine par la BCE.

Faibles gains de productivité

Car l’inflation n’est pas mauvaise en soi. La « bonne », celle qui est tirée par les salaires, et non le cours du baril, résulte de tensions sur le marché de l’emploi qui placent les travailleurs en position de négocier des augmentations, ces dernières entraînant dans leur sillage la hausse des prix. C’est cette spirale, vertueuse, qui fait défaut depuis plusieurs années et que la BCE cherche (désespérément) à retrouver.

Tarde-t-elle seulement à venir ? La Banque de France mise, dans ses prévisions de décembre, sur une inflation sous-jacente de 1,4 % en 2020 et de 1,6 % en 2021. Un scénario envisageable dans un contexte de ralentissement de la mondialisation, de faibles gains de productivité et de tensions sur les recrutements.

Rien de certain toutefois. « Les banques centrales font de la méthode Coué », selon Philippe Waechter, économiste en chef chez Ostrum Asset Management. Malgré les convulsions ressenties en 2018, la dynamique manque.