Population civile chassée par les combats entre l’armée régulière birmane et les guérilleros de l’Armée de l’Arakan (AA), une organisation séparatiste bouddhiste, dans l’Etat d’Arakan, le 23 décembre 2018. / AFP

Des combats entre l’armée birmane et une rébellion locale sont en train de provoquer une nouvelle crise humanitaire dans l’Etat de l’Arakan (aussi appelé Etat de Rakhine), d’où plusieurs centaines de milliers de musulmans rohingya ont fui depuis deux ans pour échapper à la violence des forces armées. Selon Farhan Haq, un porte-parole des Nations unies, « plusieurs milliers de personnes ont dû quitter leurs foyers dans la précipitation ».

Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’un conflit entre l’armée et des combattants rohingya, dont les attaques contre les gardes-frontières birmans et la police avaient déclenché la féroce réponse militaire de la fin 2016 et de l’été 2017, forçant plus de 700 000 membres de cette minorité musulmane à aller se réfugier au Bangladesh.

Les combats qui ont éclaté, mardi 1er et mercredi 2 janvier, dans ce même Etat de l’Arakan, situé à l’ouest de la Birmanie, ont mis aux prises les soldats de l’armée régulière avec les guérilleros de l’Armée de l’Arakan (AA), une organisation séparatiste bouddhiste fondée en 2009. Alors qu’une grande partie des Arakanais se disent très hostiles à la minorité musulmane, les responsables de l’AA focalisent leurs actions contre l’Etat birman et son armée, estimant que le gouvernement de l’« Union de Myanmar » ne respecte pas l’« identité, l’héritage culturel et la dignité » de l’Arakan.

« L’Armée de l’Arakan est passée, en dix ans, d’une poignée de combattants à une force redoutable. » Bertil Lintner

Durant plusieurs siècles, l’Arakan a été un royaume indépendant avant d’être envahi, en 1785, par les Birmans de la dynastie Konbaung. La frustration des Arakanais, qui perçoivent souvent le gouvernement du « Myanmar » comme discriminant et prédateur, notamment en ce qui concerne l’exploitation des richesses naturelles, s’enracine dans cette histoire longue et complexe.

« L’Armée de l’Arakan est passée, en dix ans, [d’une milice composée] d’une poignée de combattants à une force redoutable de plusieurs milliers d’hommes », explique Bertil Lintner, expert des questions birmanes sur le site d’Asia Times. Et comme si la situation n’était pas suffisamment compliquée, les combattants de l’AA sont entraînés et « accueillis » dans la redoute occupée près dela frontière chinoise par une autre rebellion, celle de l’Armée pour l’indépendance des Kachin, qui est en lutte contre les Birmans au nom de l’ethnie du même nom…

Populations civiles coincées

Les responsables de l’Armée de l’Arakan accusent les soldats de déployer de l’artillerie lourde dans les villages de la municipalité de Buthidaung, où se sont produits les échauffourées. « Les populations civiles sont coincées au milieu des combats », a déclaré, jeudi, Khine Thukha, porte-parole de la guérilla bouddhiste. Il affirme que les forces armées régulières ont procédé à des arrestations arbitraires et qu’elles ont parfois utilisé les villageois « comme boucliers humains ».

Les derniers combats à Buthidaung auraient été provoqués par la mort d’un policier, tué dans une embuscade à la frontière du Bangladesh, déclenchant les « opérations de nettoyage » de la Tatmadaw (forces armées). Le New light of Myanmar, quotidien officiel de Birmanie, a écrit mercredi que le policier blessé avait été la cible d’une attaque menée dans un village « par une trentaine d’hommes équipés d’armes légères et lourdes ».

Cessez-le-feu de quatre mois

Le journal en ligne Irrawaddy cite, vendredi, des analystes birmans estimant que la stratégie des militaires consiste à empêcher que les combattants séparatistes « puissent s’implanter durablement » dans ces zones où rôdent également les guérilleros de l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan. Des hostilités avaient auparavant éclaté fin octobre dans l’Etat Chin voisin, au cœur de la municipalité de Paletwa, une autre base arrière de l’AA, où se produisent régulièrement des affrontements avec les combattants séparatistes.

L’armée de Birmanie avait annoncé, le mois dernier, un cessez-le-feu de quatre mois dans un autre Etat, le Shan, frontalier avec la Chine et la Thaïlande, et où la guerre s’est intensifiée ces dernières années avec plusieurs autres mouvements séparatistes locaux. Cette annonce avait été interprétée comme un rare geste de conciliation à l’égard de ces groupes armés qui ont refusé de signer des accords de paix proposés par le gouvernement d’Aung San Suu Kyi, l’ancienne dissidente devenue de facto première ministre depuis les élections de 2015. Mais cet arrêt temporaire des hostilités n’avait pas concerné l’Arakan, suscitant la perplexité d’un certain nombre d’observateurs quant à la sincérité de l’armée d’être partisane d’une « paix des braves » à la birmane.