Arte, jeudi 10 janvier à 20 h 55, série

On serait bien tenté d’écrire ici qu’Il Miracolo, la série qu’Arte diffuse du 10 au 24 février (après l’avoir proposée en avant-première dès le 3 janvier sur son site Internet), est une manière de miracle. Mais on se gardera de l’hyperbole et l’on avouera avoir été un peu déçu – du moins désarçonné – par la fin du huitième et dernier épisode, qui suggère une conclusion non résolue, entre points de suspension et point d’interrogation.

De sorte qu’on pourrait en rester à cette fin énigmatique ou la prendre pour le tremplin d’un suspense destiné à annoncer une deuxième saison. Est-ce souhaitable ? Les prolongations d’un succès font souvent craindre, parfois avec raison, que le miracle – c’est fait : on a écrit le mot – ne se reproduise plus et que les auteurs délayent au lieu de renouveler.

Le miracolo dont il est question est très vite exposé : des policiers trouvent un homme couvert de sang, prostré dans une cave, non loin d’une statuette de madone dont on se rend vite compte qu’elle alimente de manière continue et inexpliquée une vallée de larmes de sang. L’affaire est dans le plus grand secret transmise par le général Votta (Sergio Albelli) à la connaissance du président du Conseil italien, Fabrizio Pietromarchi (Guido Caprino).

Dans une Italie au bord de l’implosion

Pietromarchi fait venir pour expertise une ancienne connaissance, le père Marcello (Tommaso Ragno) dont la vie dissolue le met au ban de l’église et le contact avec la statuette au bord du délire. Alors qu’on continue de vidanger l’hémorragie oculaire de la statuette, d’étranges faits semblent bientôt témoigner de l’influence délétère de celle-ci.

Tout ceci est raconté dans le cadre d’une Italie au bord de l’implosion, au rendez-vous avec un référendum pour sa possible sortie de la Communauté européenne, un pays pris dans les rets d’une télévision intrusive et d’une mafia toujours présente : l’univers hautement mortifère et cruel que frayent les situations et les personnages constituent l’évidente (mais jamais pesante) métaphore d’un pays enténébré.

Niccolò Ammaniti (né en 1965), le créateur et l’un des coréalisateurs d’Il Miracolo, est un écrivain italien très connu et largement traduit (publié en France par les éditions Grasset). Il fait ici ses premiers pas dans le domaine audiovisuel, entouré d’une solide équipe technique et scénaristique.

La série est exempte des défauts qu’on pourrait craindre de la part d’un novice. Au contraire : l’architecture des huit épisodes de quelque cinquante-deux minutes est assez remarquable, l’assemblage, la superposition et la cadence des diverses trames fonctionnent d’une manière particulièrement fluide tandis que les personnages trouvent chacun matière au développement d’un univers singulier.

Surréalisme lunaire et dureté sociale

Le récit de ces faits qui défient la raison et les lois de la nature est d’autant plus convaincant que les auteurs ne font en rien appel aux clichés en général associés à l’expression du surnaturel. Le mystère d’Il Miracolo est d’autant plus médusant qu’il est contemplé d’un regard dessillé.

Le style narratif rappelle en beaucoup de points celui du cinéaste Paolo Sorrentino, dont la série The Young Pope (2016) traitait aussi, d’une manière différente, du don miraculeux d’un jeune pape énigmatique, et dont certains films ont une forte composante politique (Il Divo, 2009, ou le récent Silvio et les autres, 2018).

Comme Sorrentino, Ammaniti propose des chaud-froids permanents entre raison et déraison, beauté et laideur. Mais il ne singe pas l’extrême sophistication passablement surréaliste de son collègue : ses images sont moins « léchées » et sa bande-son moins haut de gamme.

On ne connaît pas les goûts littéraires de Niccolò Ammaniti mais on ne serait pas étonné que Georges Bernanos fasse partie de ses dilections : « affrontement du Mal, révélation de la grâce » (l’une des thématiques dont traite Monique Gosselin-Noat dans son essai Bernanos romancier du surnaturel, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 2015), « perversité » enfantine, surnaturel, etc. Et, bien sûr, le personnage du curé possédé, joué de manière extraordinaire par Tommaso Ragno (récompensé du prix d’interprétation masculine au festival Séries Mania 2018).

On notera aussi la manière dont Sergio Albelli compose avec subtilité l’apparence faussement ordinaire du général. On remarque aussi la présence lunaire, d’une neutralité savamment composée, elle aussi, d’Alba Rohrwacher – vue dans Amore (2009), de Luca Guadagnino, dont l’univers glaçant semble parfois résonner dans Il Miracolo.

Mais c’est l’ensemble de la distribution qui habite avec force cet univers fait de surréalisme lunaire et de dureté sociale et qui contribue à la réussite exceptionnelle de cette série. Niccolò Ammaniti, nouveau venu dans le monde audiovisuel, place décidément la barre très haut.

Il Miracolo, série créée par Niccolò Ammaniti et réalisée par Niccolò Ammaniti, Francesco Munzi, Lucio Pellegrini. Avec Guido Caprino, Elena Lietti, Tommaso Ragno, Sergio Albelli, Lorenza Indovina (Italie/France, 2018, 8 × 52 min). Disponible dès le 3 janvier sur Arte.tv