Un camp de personnes déplacées après une attaque perpétrée par des membres présumés de Boko Haram à Dalori, dans le nord-est du Nigeria, le 1er novembre 2018. / Stringer . / REUTERS

Le groupe Etat islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap), faction de Boko Haram affiliée aux djihadistes de l’organisation Etat islamique, intensifie ses attaques contre les militaires dans le nord-est du Nigeria à un rythme alarmant face à une armée qui semble acculée. Les combattants de l’Iswap ont réussi à accumuler ces derniers mois un puissant arsenal de guerre grâce aux pillages successifs des bases militaires attaquées, mais aussi au trafic d’armes en provenance d’autres pays africains.

La prise temporaire de la ville de Baga le 27 décembre est une nouvelle démonstration de force : en quelques heures, les assaillants ont mis en déroute les 500 à 600 soldats de la Force multinationale mixte (MNJTF), composée d’unités du Nigeria, du Niger, du Tchad et du Cameroun.

Comme à chaque attaque, tandis que les soldats fuyaient, ils en ont profité pour s’emparer des armes, munitions et véhicules stockés sur cette base stratégique des rives du lac Tchad. « Boko Haram est mieux équipé que les soldats », affirme à l’AFP un milicien engagé aux côtés de l’armée dans la région, Sanda Kime. « Il y a une pénurie d’armes et de munitions pour nos troupes. C’est un problème grave », confirme Amaechi Nwokolo, chercheur au Roman Institute of Security Studies d’Abuja.

Des tactiques de guérilla

De plus en plus de voix s’élèvent au sein de l’armée pour dénoncer le piteux état des équipements, comme les balles non compatibles avec les fusils, qui s’avèrent particulièrement dangereux à utiliser. L’augmentation exponentielle du trafic d’armes en Afrique subsaharienne a également permis à l’Iswap d’acquérir du matériel « plus sophistiqué », provenant notamment de la Corne de l’Afrique et du Moyen-Orient via le Soudan, selon Yan St-Pierre, consultant en contre-terrorisme pour le cabinet Mosecon.

La sécurité s’est largement dégradée ces dernières années au Nigeria et l’armée est déployée sur de nombreux fronts aux quatre coins du pays. « Le moral des troupes est bas. Elles ont été poussées à leur limite », estime le chercheur Amaechi Nwokolo. En août 2018, des centaines de soldats ont envahi le tarmac de l’aéroport de Maiduguri, la capitale de l’Etat du Borno, dans le nord-est du pays, et ont tiré en l’air, affirmant être épuisés après quatre ans sur la ligne de front sans relèves ou avec de trop rares permissions.

L’armée avait enregistré d’importants succès militaires fin 2015, chassant les djihadistes de pans entiers de territoires sous leur contrôle. Mais depuis, le groupe a adopté des tactiques de guérilla difficiles à contrer. « Les soldats sont fatigués. Lors de certaines attaques, ils se retirent après une brève confrontation, voire sans combattre », confirme une source sécuritaire nigériane sous couvert d’anonymat.

« Des combattants très expérimentés »

Dans son message du nouvel an, le chef d’état-major de l’armée de l’air, le maréchal Sadique Abubakar, a déclaré que les djihadistes comptaient désormais dans leurs rangs des combattants étrangers de l’organisation Etat islamique (EI). « Nous avons assisté à (…) l’arrivée de combattants et technologies hautement expérimentés et qualifiés lorsque des éléments de l’EI ont été chassés de Syrie et transférés dans le nord-est » du Nigeria, a-t-il affirmé.

Les rumeurs selon lesquelles Boko Haram recrute à l’étranger ne sont pas nouvelles, mais ces derniers mois de nombreux témoignages, appuyés par plusieurs experts, vont dans ce sens. Pour Yan St-Pierre, l’affaiblissement de l’EI en Irak et en Syrie, et par contrecoup son expansion dans le Sahel et le Sahara, a « considérablement amélioré la mobilité » des combattants en Afrique.

Par ailleurs, selon ce spécialiste, l’Iswap mène depuis six mois une intense campagne de recrutement au Nigeria et dans les pays voisins comme le Niger et le Tchad, où ses imams multiplient les prêches pour présenter le groupe djihadiste comme une alternative « crédible et légitime » au gouvernement, alors que s’approche l’élection présidentielle de février à laquelle le président Muhammadu Buhari se représente.

S’attirer le soutien des populations locales

La veille de Noël, l’Iswap a pris d’assaut une base militaire à Kukareta, dans l’Etat de Yobe (nord-est), tuant dix-sept soldats. « Les combattants étaient très certainement tchadiens d’après leur physique imposant et la langue qu’ils parlaient », a déclaré un chef local sous couvert d’anonymat.

La faction historique de Boko Haram, dirigée par le leader Abubakar Shekau, utilisait surtout des kamikazes et des hordes d’assaillants dans des attaques ressemblant à des razzias d’un autre âge. En 2016, le groupe Etat islamique a décidé d’adouber un nouveau leader, Abou Moussab Al-Barnaoui, qui cherche davantage à s’attirer le soutien des populations locales. « Les combattants de l’Iswap se concentrent uniquement sur les bases militaires et ce qu’ils considèrent être les symboles d’oppression ou de répression gouvernementaux », note Yan-St Pierre.

Résultat : alors que les civils sont reclus dans des camps de déplacés strictement régulés par l’armée dans la plupart des villes du nord-est du pays, un semblant de vie normale a repris son cours dans les zones rurales où opère l’Iswap. « Là où l’armée avait ordonné la fermeture des marchés et coupé les circuits de ravitaillement, ils ont restructuré le commerce » des produits de la pêche et de l’agriculture, les principales sources de revenus dans la région, souligne le consultant. « La stratégie qui consiste à obtenir l’appui des populations est bien plus dangereuse que celle de Shekau » face à l’impuissance de l’armée nigériane.