Manifestation à Paris, le 6 janvier. / BERTRAND GUAY / AFP

Editorial du « Monde ». Quoi que dise le président, quoi que fasse le gouvernement, le mouvement des « gilets jaunes » ne désarme pas. Le 5 janvier, pour le huitième samedi d’affilée, ils étaient quelque 50 000 à manifester, à Paris ou en province, tandis que des manifestations inédites de femmes avaient lieu le lendemain dans la capitale et dans plusieurs villes.

Si cette mobilisation est moins importante que fin novembre ou début décembre, elle n’en est pas moins tenace et témoigne que le mouvement s’enracine et entend d’autant moins quitter la scène qu’il bénéficie toujours d’un assez large soutien de l’opinion.

Il est tout aussi évident que cette révolte sociale, inédite par son ampleur depuis un demi-siècle, continue à mêler de façon confuse des revendications sociales concrètes et légitimes, des aspirations démocratiques qui résultent d’une crise politique déjà ancienne et des velléités insurrectionnelles choquantes et condamnables. Samedi après samedi, les affrontements avec les forces de l’ordre, tournant parfois aux scènes d’émeute, se renouvellent : saccage de l’Arc de triomphe, incendie de la préfecture du Puy-en-Velay et, le 5 janvier, destruction de la porte d’un ministère à l’aide d’un engin de chantier.

Il ne suffit pas de dénoncer les petits groupes ultraviolents – activistes d’extrême droite, d’extrême gauche et anarchistes – déterminés à profiter de ce mouvement pour semer le chaos, attaquer la République et le « système », voire renverser le gouvernement. Il faut également mettre en garde les « gilets jaunes » eux-mêmes contre la complaisance, active ou verbale, dont ils peuvent faire preuve à l’égard de cette ultraviolence.

Il faut enfin fustiger les (ir)responsables politiques qui jouent avec le feu, attisent ce climat de haine et excusent, quand ils ne les justifient pas, ces agressions contre l’ordre républicain : Jean-Luc Mélenchon ou Nicolas Dupont-Aignan de façon explicite, des responsables d’extrême droite, voire de droite, de façon aussi furtive qu’opportuniste. Parce qu’elle est la négation de la tolérance et du débat, parce qu’elle entend disloquer une société déjà fragilisée, cette violence est l’ennemie de la démocratie.

La seule réponse ne peut être que politique

Le pouvoir exécutif a donc raison de s’insurger contre la stratégie du désordre que poursuivent les plus radicaux. Pour autant, il aurait tort de ne compter que sur l’exaspération d’une éventuelle majorité silencieuse pour circonscrire, isoler et décrédibiliser ce mouvement social. De même, il se fourvoierait en voulant renforcer le solide arsenal, sécuritaire ou judiciaire, dont disposent dès à présent les forces de l’ordre ; cela ne ferait que mettre de l’huile sur le feu.

La seule réponse à la crise actuelle ne peut être que politique. Des mesures sociales significatives ont été annoncées et votées en urgence par le Parlement, à hauteur de 10 milliards d’euros, pour répondre aux revendications initiales des « gilets jaunes ». Reste à écouter et à répondre à leur revendication démocratique, qui n’est pas moins pressante.

C’est l’objet du grand débat national qui va s’ouvrir. S’il ne veut pas justifier les critiques de ceux qui le récusent avant même qu’il ait commencé, cet exercice inédit et difficile doit répondre à une triple exigence d’ouverture, de transparence et de responsabilité. A la fois dans son déroulement, dans la synthèse qui en sera faite et dans les conclusions qui en seront tirées. Le défi est redoutable. Il doit impérativement être relevé.