Partie d’une vidéo postée par Franck Ribéry, le montrant devant un steak (littéralement) doré sur tranche dans un restaurant de Dubaï, la polémique a été mise à feu par le quotidien allemand Bild qui a avancé le prix de 1 200 euros pour ce mets douteux. L’ancienne journaliste Audrey Pulvar a ensuite versé de l’huile en invitant le footballeur à financer de meilleures causes.

La mécanique de l’indignation s’est manifestement emballée puisque l’entrecôte du scandale aurait coûté moins cher qu’annoncé, que d’autres célébrités se sont livrées à une dégustation analogue (dont Lionel Messi en novembre 2018) et que Franck Ribéry n’est pas
avare de dons aux œuvres caritatives.

On peut certes estimer que ce rituel se partage entre indécence et stupidité. Mais pourquoi faire des footballeurs, une nouvelle fois, un cas d’espèce ? On mènerait une enquête édifiante, à Dubaï ou Miami, sur les consternants loisirs de tous les hyper-riches en vacances.

Franckie goes to FC Hollywood

Ainsi est allée toute la carrière professionnelle de l’attaquant boulonnais, entamée avec une belle cote d’amour mais vite placée sous le feu des critiques.

Revenu, à Metz puis Galatasaray, d’entre les refoulés des centres de formation, le miraculé éclate lors d’une grande saison à l’OM, qu’il achève sur une Coupe du monde 2006 enchantée. L’heure est alors à la bienveillance pour ce Ch’ti dont la « fraîcheur » ravit foules et médias.

L’état de grâce sera de courte durée. Après un « bras de fer » perdu avec Marseille, il doit attendre une saison pour rejoindre le Bayern Munich. Provisoirement, croit-on, étant donné l’instabilité du garçon.

Douze saisons et plus de 470 matches en rouge plus tard, il aura déjoué ce pronostic, mais aussi celui qui lui promettait une tout autre popularité.

Il reste, à la fin des années 2000, dans sa trajectoire ascendante en devenant un pilier de son club et de l’équipe de France. En 2008, un invraisemblable « Ribéry Show » témoigne pour l’histoire de l’engouement.

Mais il est plongé dans « l’affaire Zahia » à la veille de la désastreuse Coupe du monde 2010, dont il est un protagoniste majeur avec son légendaire discours en tongs lors de l’émission Téléfoot.

Tombé du train bleu

Ribéry paye alors logiquement une débâcle dont il est coresponsable en tant que membre des « caïds immatures » de Knysna, mais il fait aussi les frais d’un délit de sale gueule et d’une bonne dose de mépris de classe, aggravé d’une sourde réprobation pour sa foi musulmane.

C’en est fini de l’irrésistible blagueur dont on riait des facéties de potache en admirant ses coups de reins qui cassaient ceux des défenseurs.

Comme dans le cas de Karim Benzema, la difficulté est de faire la part de ses propres responsabilités et de ce dont on l’accable comme bouc émissaire d’une France qui réclame une impossible exemplarité à ses footballeurs. Des parvenus auxquels on reproche les origines, le style de vie et l’accès à une richesse jugée indue…

Paul Pogba, gracié par le titre mondial de 2018, a échappé de peu à un tel procès. Ribéry n’a pas eu ce destin. Indispensable à une équipe de France dans le creux de la vague, il a été des phases finales « à problèmes » de 2008, 2010 et 2012. Et s’il est décisif lors du match de barrage retour face à l’Ukraine, il rate la Coupe du monde 2014, blessé.

Après être monté dans un wagon qui l’amena à une finale mondiale pour sa 10e sélection, Ribéry était tombé du train bleu.

Rendez-vous manqués

Malgré un palmarès remarquable, il a ainsi manqué – outre le Ballon d’Or 2013 qu’il estimait, non sans raison, devoir lui revenir après une grande saison et une victoire en Ligue des champions – quelques rendez-vous avec le football.

Malgré des blessures récurrentes, le prodige de 2006 a atteint une surprenante longévité, jamais la maturité qui lui aurait évité, encore aujourd’hui à un âge avancé, des frasques comme ce pugilat récent avec un consultant de Bein Sports. Zinédine Zidane avait jadis loué
sa spontanéité : « Franck respire la joie de vivre. Il ne calcule pas ». Il aurait dû, par la suite.

Reste que ce passage d’une extrême popularité à un tel statut de mal-aimé ne doit pas qu’à ses écarts et ses erreurs. On lui a fait incarner outre mesure le footballeur illettré (alors qu’il parle mieux l’allemand que la plupart de ceux qui en ont fait sept ans en LV1), imbécile, illégitime.

Un footballeur trop facile à détester, un vilain idéal dont on ne devra pas oublier qu’il aura, aussi, été un très beau footballeur.