Thomas Pesquet, à bord de la Station spatiale internationale, quelque part au-dessus de la Terre, le 30 mai 2017. / EUROPEAN SPACE AGENCY / AFP

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Thomas Pesquet ne rêvait pas, enfant, de décrocher la lune. Mais il ne s’est rien interdit, saisissant les occasions lorsqu’elles se présentaient, multipliant les expériences. Un parcours atypique qui, au final, a fait la différence, tout comme ses « soft skills », ses compétences en savoir-être.

Etes-vous surpris d’être devenu astronaute ?

Avec le recul, oui, je suis en effet surpris d’en être arrivé là. S’il avait fallu faire des paris, je crois que je n’aurais pas misé sur moi. Ce n’était pas écrit sur mon berceau que j’allais devenir astronaute. Mes grands-parents étaient agriculteurs tous les deux, des deux côtés. Mes parents, institutrice et professeur. J’ai pris l’avion pour la première fois à 20 ans, après mes deux années de classes préparatoires, et aucun membre de ma famille n’avait le moindre lien avec le monde de l’aéronautique et du spatial.

D’ailleurs, jusqu’au moment du décollage [du vaisseau spatial] et même juste avant d’arriver dans la Station spatiale internationale, j’étais persuadé qu’il allait se passer quelque chose. Peut-être était-ce un mécanisme de protection pour dégonfler un peu la pression, mais je me suis dit : « Ça va rater. C’est trop énorme ce qui est en train de m’arriver. » En fait non, ça n’a pas raté !

A quel métier rêviez-vous, enfant ?

Comme beaucoup de petits garçons et petites filles, être un grand sportif me faisait rêver. Moi, c’était le basket, je voulais être Michael Jordan ! Malheureusement, j’ai rapidement compris que ça allait être compliqué. Plus tard, vers 16 ans, j’ai rêvé de devenir pilote, j’avais des posters d’avions dans ma chambre. Astronaute, je trouvais cela sympathique mais tellement lointain, un peu comme champion du monde de foot. Je n’avais aucune connexion avec ce monde-là.

Pourquoi témoigner aujourd’hui pour aider les 16-25 ans à trouver leur voie ?

Je me revois à 16 ans face à une personne qui me demande ce que je veux faire dans la vie, et moi, je ne sais pas. Cela dépend de tant de choses. A cet âge, on n’a pas les armes pour savoir ce qui nous plaît à 100 %. C’est un moment très difficile, qui génère énormément de stress. On a l’impression qu’on doit déterminer toute sa vie.

Or ce n’est pas le cas. Je veux donc leur dire : « Déstressez un peu ! » Ce n’est pas une décision que vous allez prendre aujourd’hui qui va être valable pour toute la vie. En avançant sur le chemin, vous allez vous rendre compte que la vie n’est pas une ligne droite et qu’une multitude de bifurcations est possible. Vous pouvez être heureux dans différents métiers. Il s’agit d’essayer les choses et, si cela ne marche pas, il sera toujours temps de changer.

Vous avez multiplié les expériences pour vous trouver : ingénieur aéronautique chez Thales, puis au Centre national d’études spatiales, pilote de ligne, puis instructeur chez Air France. C’est ce que vous conseillez ?

Je conseille aux jeunes d’essayer beaucoup de choses différentes, en effet. Il faut tout tenter et, surtout, oser. Le plus grand mécanisme d’obstacle à la réussite est l’autocensure.

Je l’ai vu en passant le concours chez Air France pour devenir pilote. Ce concours gratuit donne accès à une formation entièrement payée par la compagnie. Les candidats le réussissant sont logés et nourris, une occasion formidable ! Le jour du concours, alors que je pensais que nous serions 50 000, nous sommes à peine 1 000. Evidemment, tout le monde n’a pas envie de devenir pilote, mais je me suis tout de même demandé : n’y a-t-il pas plus de 1 000 personnes en France qui désirent suivre une formation gratuite pour devenir pilote ? Evidemment que si. On peut imaginer que certains n’ont pas eu l’information, d’autres ont pu se dire : « Je n’y connais rien », « Ce n’est pas pour moi », etc. Cette autocensure est, selon moi, le pire qui puisse arriver dans la vie. Il ne faut pas hésiter à s’inscrire, même à des choses qui ont l’air compliquées. C’est trop dur ? Si on rate, ce n’est pas si grave. Qui sait ce qui peut arriver ? Cela va peut-être provoquer quelque chose d’autre.

Pour avoir accès à ces occasions, vous avez bien travaillé à l’école. « C’était le deal » avec vos parents, dites-vous. C’est un message intemporel à transmettre…

Bien travailler à l’école, c’est une clé. Ce n’est pas la seule, bien sûr, mais c’est un vrai tremplin, un accélérateur social, j’en suis l’exemple premier. Je ne suis pas là pour faire la publicité de l’éducation nationale, mais j’ai eu toutes ces ouvertures grâce au système éducatif.

« Le “bas du CV”, ce sont des activités que l’on aime faire. En les pratiquant, on apprend tout un tas de savoirs très importants. C’est ce qui m’a permis de devenir astronaute. »

On ne travaille pas pour faire plaisir à ses professeurs ou à ses parents. On travaille pour se donner des chances. Les études peuvent nous lancer sur des trajectoires qui permettent d’accéder à beaucoup mieux. Si j’ai pu passer mon brevet de pilote privé, c’est parce que j’étais dans une école d’ingénieurs en aéronautique. Si j’ai pu voyager, c’est parce qu’il y avait des échanges mis en place avec l’étranger. Ce ne sont pas des choses que j’aurais pu faire tout seul dans mon coin ou que mes parents auraient pu me payer.

Dans ce monde qui bouge vite, on conseille aux jeunes de développer leurs « soft skills », ces capacités dites « non scolaires », appelées « bas du CV ». Qu’en pensez-vous ?

Sûr et certain, c’est ce « bas du CV » qui m’a permis de devenir astronaute. Sans ce que j’ai fait après l’école, je n’aurais eu aucune chance à la sélection. Quasiment tous les jours, c’était entraînement de judo, de basket, cours de saxophone, ensemble musical, etc. Natation le vendredi, match le samedi. J’ai appris beaucoup de choses importantes après 17 heures. Ce sont d’ailleurs mes parents qui m’ont permis cela, en parcourant des milliers de kilomètres en voiture pour m’emmener partout.

Le bas du CV, ce ne sont pas des cases à remplir pour avoir un travail. Ce sont des activités que l’on aime : du sport, de la musique, un engagement dans une association, des châteaux de cartes, peu importe. En les pratiquant, on n’acquiert pas de connaissances strictement académiques mais tout un tas d’autres savoirs très importants.

En quoi est-ce utile pour la suite ?

Les sports collectifs, par exemple, apprennent tout à la fois la compétition et l’esprit d’équipe. Que fait-on si on est le plus nul de l’équipe ? Ou si, au contraire, on est le meilleur et on trouve que tous les autres ne sont pas assez bons ? Tous ces questionnements, un jeune va y être confronté dans sa vie active. Le sport individuel, lui, apprend le dépassement et la persévérance. Même à l’époque d’Internet, il ne suffit pas de passer trois heures sur YouTube pour maîtriser le saxophone. Il faut plutôt pratiquer quatre ans, à raison de trois quarts d’heure par jour.

Un jeune est une « éponge » qui absorbe, sans s’en rendre compte, à une vitesse phénoménale. Cela ne dure pas toute la vie, il faut donc en profiter et s’exposer à toutes ces expériences pour en retenir le plus possible. Les classements à l’école se font sur les notes, et non sur les capacités humaines, le leadership ou l’esprit d’équipe. C’est compréhensible. Mais, dans la vie active, les critères changent. Les capacités humaines peuvent parfois même prendre le pas sur les capacités purement intellectuelles ou académiques.

Sur 8 413 candidats, seuls 6 astronautes ont été recrutés en 2008 par l’Agence spatiale européenne. Savez-vous pourquoi vous avez été pris ?

Je n’ai pas eu de débriefing précis, mais j’ai ma petite idée. On n’a pas besoin de cow-boy ou de héros pour la conquête spatiale, mais de gens qui savent travailler en équipe. Pour rester six mois dans la Station spatiale internationale à gérer la promiscuité, les nombreuses tâches à réaliser et l’éloignement de chez soi, il faut être un joueur d’équipe. Il faut savoir s’entendre, communiquer, être aussi patient et calme.

Ces qualités priment dans mon domaine, mais elles sont importantes dans tous les métiers. Ce n’est pas essentiel d’être le plus intelligent tout le temps. Je ne l’ai jamais été, sauf peut-être en maternelle, et encore ! En revanche, cela ne me pose aucun problème de travailler avec les autres.

Aviez-vous un plan B ? Comment, en cas d’échec, apprendre à rebondir ?

Si je n’avais pas été pris comme astronaute, je serais revenu chez Air France. J’étais pilote instructeur et cela me plaisait. Je n’en avais clairement pas exploré toutes les possibilités et j’avais des projets pour ma vie personnelle.

J’ai appris qu’il ne faut pas être obnubilé par une seule chose. Si j’ai un message à faire passer, c’est celui-là. Dans toutes les sélections auxquelles j’ai participé, il y avait des personnes qui étaient, mangeaient, dormaient astronautes. Ils savaient tout par cœur, ils avaient tout lu, tout écrit, tout regardé. Ils avaient orienté leur vie entière vers cet objectif. Bizarrement, ces personnes-là n’ont jamais été prises. Devant ce type d’attitude, sans vraiment de prise de recul, on peut légitimement se demander : que signifie n’avoir qu’une chose qui nous plaît dans la vie ? Il faut avoir des plans B. C’est une illusion de se dire « je ne peux être que pilote ou pompier, sinon ma vie ne vaut rien ». Ce n’est pas vrai, c’est une construction de l’esprit. Plus généralement, il n’y a pas que la vie professionnelle, dans la vie. Il est nécessaire d’avoir d’autres intérêts qui s’équilibrent.

L’historien Yuval Noah Harari souligne, dans « 21 leçons pour le XXIe siècle » (Albin Michel, 384 p., 23 €), l’importance de transmettre aux jeunes des compétences telles que « la capacité d’affronter le changement et de préserver notre équilibre mental dans des situations peu familières »…

L’équilibre mental est en effet clé, tout comme la capacité à s’adapter. Il s’agit de pouvoir rester soi-même en toutes circonstances. Dans ce monde où les changements technologiques sont rapides, la génération qui vient va devoir changer de métier souvent. Il faut s’y être préparé et, pour cela, s’être constitué des racines, un socle. Une base sur laquelle on peut se construire.

Vous avez fait face à une compétition impressionnante. Quels conseils donneriez-vous à tous les jeunes qui vont entrer dans l’univers compétitif du monde du travail ?

C’est vrai que le monde du travail est compétitif et que c’est difficile. Mais regardez la course à pied : c’est compétitif parce qu’on est classé, mais c’est aussi très convivial. Les gens s’entraident parce que, au final, on court contre soi-même.

La vraie compétition, dans la vie active, est avec soi-même : qu’est-ce qu’on peut faire de mieux ? Difficile à dire, car nous ne sommes jamais très bon juge de nous-même. Il ne s’agit pas d’avoir le boulot le plus lucratif, s’il nous rend malheureux. Où est-ce que l’on sera le plus heureux ? C’est cela qu’il faut maximiser. Le reste se mettra en place tout seul.

Depuis l’espace, Thomas Pesquet raconte son quotidien à des collégiens
Durée : 00:41

Vous avez été un astronaute connecté. Avez-vous un conseil pour la jeune génération, très portée sur les réseaux sociaux ?

Ce n’est pas simple de résister aux sollicitations constantes quand le téléphone est dans votre poche et que cela permet d’échapper à un réel pas toujours marrant. Mais la vie, ce n’est pas Instagram. Dans la Silicon Valley, ceux qui créent ces programmes font en sorte que leurs enfants passent le moins de temps possible sur les écrans. Je n’ai pas de leçons à donner, mais s’il y avait eu des smartphones quand j’avais 18 ou 20 ans, je ne sais pas si j’aurais eu le même parcours. Car il m’a demandé beaucoup de travail et un peu d’abnégation.

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