Arthur Rudolph (1906-1996)  dans les années 1960, un des pères de Saturn V et ex-ingénieur du IIIe Reich. / ALAMY STOCK PHOTO

Arte, mercredi 9 janvier à 22 h 20, documentaires

Premier des quatre documentaires programmés dans cette Thema lunaire, Destination Lune, les anciens nazis de la NASA, de Jens Nicolai, raconte l’histoire méconnue des quelque 150 ingénieurs et spécialistes allemands de la médecine spatiale qui, après avoir révolutionné, sous les ordres d’Adolf Hitler, les techniques d’armement et mis au point ­ plusieurs missiles, ont contribué, trente ans plus tard, au spectaculaire alunissage de Neil Armstrong, le 20 juillet 1969.

Nourri d’images d’archives allemandes et américaines, le film retrace notamment l’itinéraire de l’ingénieur Wernher von Braun (1912-1977), qui met au point à la fin des années 1920 des petites fusées expérimentales. Chercheur au département balistique de la direction des armements, il participe activement au réarmement de l’Allemagne sous Hitler.

C’est lui, qui, à la base de Peenemünde, petit port de la Baltique, développe pendant la seconde guerre mondiale les redoutables V2, premiers missiles à guidage autonome de l’histoire. Sous ses ordres, des milliers de travailleurs forcés internés dans un camp de concentration à proximité participent à la production de ces armes. Les missiles V1 et V2 sont ensuite produits dans un lieu souterrain : l’usine, dite Mittelwerk, près de Nordhausen, où les prisonniers du camp de Dora devront travailler dans des conditions atroces. Sur 60 000 travailleurs forcés, seulement 20 000 survivront.

Une nouvelle « Terre promise »

Le film se concentre également sur Hubertus Strughold (1898-1986), responsable de la médecine aéronautique de la Luftwaffe à partir de 1935. Ce physiologiste mène des tests sur des prisonniers du camp de concentration de Dachau. Les images montrent l’un d’eux mourant après avoir été maintenu trente minutes dans une pièce dépressurisée simulant les conditions atmosphériques à 12 kilomètres d’altitude. Après quelque deux cents expériences de ce type, Strughold en conclut qu’il est impossible de ­voler à cette altitude sans être dans une cabine pressurisée.

Après le débarquement de juin 1944, les Américains cherchent à récupérer le potentiel scientifique allemand : l’opération « Paperclip » permet d’exfiltrer et de recruter près de 1 500 scientifiques issus du complexe militaro-industriel de l’Allemagne nazie pour lutter contre l’Union soviétique (URSS) et mettre la main sur les armes secrètes du IIIe Reich. Si le président Harry Truman exige qu’aucun criminel de guerre ne soit ramené, nombre d’entre eux, dont Arthur Rudolph (1906-1996), font partie du voyage.

Leur installation aux Etats-Unis provoque de vives critiques, notamment celles d’Albert Einstein. Reste que ces ingénieurs allemands sont en avance sur leurs homologues américains. Ce sont eux qui vont réaliser le souhait du président John Kennedy qui, à peine élu, avait affirmé en 1961 l’ambition des Etats-Unis d’envoyer un homme sur la Lune. Von Braun et Rudolph vont contribuer au succès de Saturn V, lanceur géant développé pour le programme spatial habité Apollo.

Si « Paperclip » est rendue publique en 1973, il faut attendre les années 1980 pour que la justice américaine lance des poursuites ­contre les criminels de guerre allemands de la NASA : Rudolph devra renoncer à la nationalité américaine et quitter le territoire ; Strughold perdra nombre de ses titres.

Après le retour dans la course des Etats-Unis, la Chine, a posé, le 3 janvier, un rover (véhicule lunaire) sur sa face cachée

A ce documentaire passionnant succède Lune, le huitième continent, que signe Véronique Préault. Son film montre comment la Lune exerce de nouveau son pouvoir d’attraction. En effet, si plus aucun homme n’a foulé sa surface depuis décembre 1972, notre satellite naturel est appelé à devenir une nouvelle « Terre promise ».

Vers un partage du territoire lunaire ?

Après le retour dans la course des Etats-Unis, annoncé en 2017 par le président Donald Trump, la Chine, qui vient, le 3 janvier, de poser un rover (véhicule lunaire) sur sa face cachée, s’affirme comme une grande puissance spatiale. L’Agence spatiale européenne se positionne, pour sa part habilement en travaillant avec les Américains et les Chinois. L’Inde, la Russie, le Japon et le Brésil sont également lancés dans cette nouvelle course vers la Lune, étape privilégiée des futures expéditions vers Mars. Sans compter les milliardaires comme Elon Musk (SpaceX), Richard Branson (Virgin Galactic) ou Jeff Bezos (Blue Origin) et les start-up telle Astrobotic qui sont décidés à faire de l’astre un nouvel espace économique.

Tout en exposant les enjeux technologiques, politiques et géostratégiques complexes des programmes en cours, ce film pose des questions pertinentes : cet intérêt croissant de la part de ces nombreux acteurs étatiques et privés préfigure-t-il un partage du territoire lunaire ? La Lune peut-elle devenir un terrain d’affrontements ou, au contraire, un instrument de paix ?

« Destination Lune, les anciens nazis de la NASA », de Jens Nicolai (Allemagne, 2018, 52 min), suivi, à 23 h 15, de « Lune, le huitième continent », de Véronique Préault (France, 2018, 52 min). A 0 h 10, « Mission : vivre sur la Lune », de Felix Kohler et Gabriel Stoukalov (Allemagne, 2018, 52 min). A 1 h 05, « Un billet pour la Lune », de Veronika Janatkova et Till Steinmetz (Allemagne, 2018, 52 min). Arte.tv