Salvatore "Toto" Riina lors de son procés, dans la prison de haute sécurité Ucciardone de Palerme, le 8 mars 1993. / ALESSANDRO FUCARINI / AFP

A quelques mètres de l’église orthodoxe Alexandre-Nevski, en lieu et place du restaurant russe Le Daru, un nouvel établissement a ouvert ses portes à Paris, il y a deux mois. La cuisine y est sicilienne mais l’argument commercial est ailleurs. Et peu gastronomique. C’est Lucia Riina, la fille de Toto Riina, l’un des principaux parrains de Cosa Nostra, mort en 2017 en prison, et surnommé « la bête » pour les nombreux meurtres qui lui sont attribués, qui est derrière le projet.

A écouter Pascal Fratellini, l’un des actionnaires de l’établissement, elle a souhaité quitter l’Italie pour préserver sa tranquillité et celle de son jeune enfant. « Là-bas, c’est la fille du diable », dit-il. Elle n’a pourtant pas trouvé plus discret que de baptiser le restaurant parisien, dans lequel son époux possède 10 % des parts, « Corleone, by Lucia Riina ». Du nom de la légendaire commune de Sicile d’où est originaire sa famille, qui a donné son nom au « Parrain » dans le roman de Mario Puzo et à Marlon Brando dans le film de Francis Ford Coppola. Et conformément à la position qu’elle a toujours adoptée en assumant ses origines, sans jamais chercher à prendre ses distances avec son père.

« Fille de »

Suffisant pour émouvoir la presse italienne, qui s’est empressée mercredi de faire réagir la sœur du magistrat Giovanni Falcone, figure de la lutte anti-Mafia, assassiné en 1992 par les hommes de Riina. « Lucia Riina est une citoyenne libre, je n’ai aucun commentaire à faire sur sa décision d’ouvrir un restaurant. Ensuite, il appartient à chaque citoyen de décider de s’y rendre ou non », a déclaré Maria Falcone au Corriere della Sera.

« Je suis tombé un jour sur l’une des déclarations de Lucia Riina où elle expliquait que l’Etat italien lui refusait le versement d’une allocation pour son bébé en raison de son statut de “fille de”, explique Pascal Fratellini. J’ai vu qu’elle faisait de la peinture. Je lui ai acheté une toile, puis nous avons sympathisé. J’ai rencontré la famille à Corleone, et c’est comme ça que ça s’est fait », raconte-t-il. Il ne renie pas le coup marketing. « Aux Etats-Unis, vous avez des restaurants aux noms d’Al Capone, de Lucky Luciano ou des Soprano », dit-il.

Pour l’occasion, il s’est associé avec Cédric Duthilleul, patron du restaurant le Griffonnier à Paris, situé à quelques enjambées du ministère de l’intérieur dans le 8e et réputé être la cantine de grandes figures de la police nationale.

La variété italienne en fond sonore, la specialita della casa « orecchiette alla Corleonese » et les clichés de Corleone qui ornent les murs verts de l’établissement entre deux tableaux de Lucia Riina participent d’un folklore mafieux au goût étrange. D’ailleurs, la mozzarella di bufala est d’un intérêt relatif et les linguine aux palourdes sont plutôt quelconques. C’est donc une offre que l’on peut refuser.