Bonne résolution de l’année 2019 ? (Se) faire plaisir en achetant de l’art. Trop cher, pensez-vous ? Oui, sauf si on pousse la porte des galeries spécialisées dans le multiple. Car, au prix d’un carré Hermès – et même moins –, on peut acheter des estampes, livres d’artiste et objets originaux, comme une assiette fontaine du jeune Matthieu Cossé pour 100 euros proposée par le site Wedonotworkalone.fr.

« Les collectionneurs achètent des estampes pour eux, mais aussi pour des amis qu’ils souhaitent initier, confie la galeriste Anne Barrault. Et puis il est arrivé que des personnes viennent à la galerie pour chercher un multiple et repartent avec une œuvre originale et unique. »

« Un artisanat d’exception »

Le multiple, et tout particulièrement le livre d’artiste numéroté, permet d’entrer de plain-pied dans une œuvre. La pratique a d’ailleurs été prisée aussi bien par les artistes conceptuels que par les peintres traditionnels. Pour Gilles Drouault, cofondateur de la Galerie de Multiples (GDM), à Paris, ­ « l’estampe, c’est une œuvre d’art à part entière, mais qui obéit à un autre processus de production ». « C’est une matrice qui détermine le reste du travail d’un artiste », renchérit la galeriste et éditrice parisienne Michèle Didier.

Directeur de MEL Publisher, maison d’édition en ligne lancée par Michel-Edouard Leclerc, ­Lucas Hureau est tout aussi intarissable sur le sujet. « C’est un bon moyen de sensibiliser les jeunes publics à l’art et à la collection, ­explique-t-il. C’est aussi un artisanat d’exception : les estampes sont produites dans des ateliers historiques et avec des techniques vieilles de plusieurs siècles parfois. Elles sont réalisées sur des papiers de grande qualité avec des encres qui résistent à la lumière et au temps. »

Françoise Petrovitch, Nocturne 1, 2017, MEL publisher / Françoise Petrovitch

Pour ne rien gâcher, les multiples sont abordables. Le rapport de prix entre un dessin et une estampe est souvent de 1 à 10, voire plus pour les créateurs les plus célèbres. Prenons le cas du grand artiste conceptuel On Kawara, mort en 2014. Ses Date Paintings valent entre 500 000 et 700 000 dollars. Michèle Didier propose pour 3 000 euros les deux volumes du One Million Years qu’elle a édités. Chez MEL Publisher, on peut trouver des estampes de Barthélémy Toguo entre 900 et 2 500 euros, alors que ses dessins se négocient entre 10 000 et 30 000 euros.

Le rapport de prix entre un dessin et une estampe est souvent de 1 à 10, voire plus pour les créateurs les plus célèbres

Si les dessins de l’auteur de bande dessinée Art Spiegelman peuvent atteindre jusqu’à 45 000 euros, le prix de ses estampes s’échelonne de 1 200 à 1 600 euros. « Au lieu d’avoir une petite œuvre originale, un petit dessin cher et souvent anecdotique dans une œuvre, on peut avoir une estampe de beau format, emblématique, originale, à très peu d’exemplaires et signée », poursuit Lucas Hureau. Cependant, prévient Gilles Drouault, « il faut regarder le multiple avec la même exigence qu’une œuvre unique, veiller à y trouver l’univers de l’artiste ».

« Toucher un grand public »

La pratique du multiple est aussi très prisée des jeunes créateurs. « Beaucoup d’entre eux commencent avec cette discipline et y restent sensibles après, d’autant plus qu’ils espèrent toucher un grand public », rappelle Michèle Didier. Avant de lâcher : « Mais c’est un leurre. » Car le multiple reste confidentiel en France, comparé aux Etats-Unis, où les marchands spécialisés et éditeurs sont très puissants. Des tirages en trop grand nombre et de mauvaise qualité ont saturé et dénaturé ce marché. « Les gens ont tendance à appeler lithographie ou sérigraphie de simples reproductions, regrette Lucas ­Hureau. Les termes employés ne veulent plus rien dire, ou plutôt veulent tout et rien dire. »

« Il faut se fier à son goût et choisir une estampe pour le plaisir de vivre avec elle, les années ainsi que l’histoire de l’art feront le reste », selon Lucas Hureau, de MEL Publisher

Pour beaucoup, l’estampe a quelque chose de vieillot, comme une belle gravure que l’on consulte dans un carton à dessin. « Aux Etats-Unis, elle est associée au pop art et à ses plus grands artistes, et elle est encore pleinement à la mode, poursuit Lucas Hureau. Le potentiel est pourtant assez important pour que de grandes galeries comme Lelong, Pace, Hauser & Wirth, Marian Goodman ou Gagosian s’en soient emparé. »

Reste un dernier bémol : les ­es­tampes ne se revendent pas facilement aux enchères. « Le marché est fluctuant et met du temps à se construire parfois, admet Lucas Hureau. Mais il faut se fier à son goût, car on ne vit pas avec un billet au mur, ni une action, mais avec une œuvre que l’on a du plaisir à regarder pour ce qu’elle représente et non pour ce qu’elle vaut. Il faut choisir une estampe pour le plaisir de vivre avec elle, les années ainsi que l’histoire de l’art feront le reste. »

Voilà encore dix ans, on pouvait trouver une estampe de Zao Wou-ki à quelques centaines d’euros. Aujourd’hui, la barre est montée autour de 2 000 euros. De même les estampes de Pierre Soulages, qu’on dénichait pour 1 000 ou 2 000 euros, voisinent plutôt avec les 10 000, 20 000 euros. Il faut laisser faire le temps. Pour preuve, le succès, depuis vingt ans, des cinquante ventes aux enchères de la collection Henri Petiet, marchand qui avait acheté en 1939 le stock d’estampes de la galerie Ambroise Vollard.

Michèle Didier, 66, rue Notre-Dame-de-Nazareth, 75003 Paris

Galerie de Multiples, 17, rue Saint-Gilles, 75003 Paris

Melpublisher.com

Galerie Anne Barrault, 51, rue des Archives, 75003 Paris