Thierry Henry (de dos avec le numéro 14) et Cesc Fabregas (au centre) lors d’un match de Ligue des champions d’Arsenal le 26 septembre 2006 contre Porto. / ODD ANDERSEN / AFP

Les joueurs de football, capables de deviser palmarès d’égal à égal avec Thierry Henry, ne courent pas les rues. Encore moins celles de la Principauté, dont le club traverse une vive crise, marquée par une avant-dernière place en Ligue 1. La dernière recrue monégasque, l’Espagnol Cesc Fabregas, qui a officiellement conclu son transfert de Chelsea à Monaco vendredi 11 janvier (contrat de trois ans et demi), fait partie de cette espèce rare.

Champion du monde 2010, double champion d’Europe 2008 et 2012, le milieu de terrain compte avec la Roja (l’équipe d’Espagne) un titre international de plus que son nouvel entraîneur avec l’équipe de France. De quoi vous classer un footballeur même s’il n’a, lui, jamais gagné la Ligue des champions.

Les deux ne partagent pas que l’amour des trophées prestigieux. Quand il débarque à Londres à 16 ans, Fabregas est un adolescent prometteur repéré lors du Mondial 2003 des moins de 17 ans par Arsène Wenger. Le manager alors inamovible des Gunners persuade le garçon et sa famille de sortir du cocon du FC Barcelone, son club formateur, pour tenter l’aventure anglaise.

A 25 ans, Thierry Henry est, lui, déjà le buteur adulé du public d’Arsenal. Mais peu importe la différence d’âge et de statuts, la complicité est immédiate sur et en dehors du terrain entre les deux joueurs.

De 2003 à 2007, les rôles sont bien répartis. Fabregas initie les actions, avec un art de la passe décisive rare, Henry termine le boulot. En 2006, le duo est le moteur de l’épopée des Gunners en Ligue des champions, achevée par une défaite en finale contre le Barça.

En dehors d’une victoire en Coupe d’Angleterre, en 2005, Arsenal ne soulève pas de trophée pendant cette période, ce qui n’empêche pas les deux compères de livrer de belles batailles, notamment face au rival honni de Manchester United.

L’affaire de la pizza

En 2004, après une défaite d’Arsenal 2 à 0 à Old Trafford, lors d’une échauffourée à la sortie des vestiaires, le coach de MU, Sir Alex Ferguson en personne, reçoit une part de… pizza en plein visage.

Longtemps soupçonné, Fabregas ne confessera enfin son crime de lèse-majesté qu’en 2017 lors d’une interview à la télé anglaise. « J’ai entendu des bruits et je me suis demandé ce qu’il se passait. Je suis donc sorti avec ma part de pizza et j’ai vu Sol Campbell, Rio Ferdinand, Martin Keown… tout le monde se frappait, a-t-il raconté avec drôlerie et malice. Je voulais m’en mêler mais je ne savais pas comment. Et je l’ai jetée, juste jetée… Ensuite, j’ai vu que mon lancer avait atteint qui vous savez. Je m’excuse Sir Alex, je ne voulais vraiment pas faire ça. »

Quinze ans après cet attentat culinaire, Henry et Fabregas sont des monuments d’Arsenal, même si seul le second a eu droit à sa statue devant l’entrée de l’Emirates Stadium. Fabregas détient de son côté plusieurs records de précocité du club londonien. À 16 ans et 177 jours, le 28 octobre 2003, il était le plus jeune joueur à débuter avec les Gunners. Trente-cinq jours plus tard, il devenait le plus jeune buteur de l’histoire du club.

La suite de leur carrière éloigne les deux amis qui se « ratent » de peu à Barcelone où Henry évolue de 2007 à 2010 alors que Fabregas y effectue un retour mitigé entre 2011 et 2014. « Depuis que je suis parti d’Arsenal, je parle à Cesc tous les deux ou trois jours », révélait Thierry Henry en conférence de presse quelques jours avant la signature de sa recrue, qui s’est fait attendre le temps que Chelsea lui trouve un remplaçant.

Quand Henry le consultant défendait Fabregas

Cette relation privilégiée explique la venue d’un garçon de cette classe dans une équipe engluée dans les profondeurs de la Ligue 1. Le régime fiscal monégasque avantageux, qui dispense les étrangers de l’impôt sur le revenu, a aussi certainement achevé de convaincre l’intéressé, comme l’ont été avant lui des grands noms tels que Fernando Morientes, Christian Vieri ou encore Radamel Falcao.

Même lorsqu’il a choisi de revenir en Premier league, et de passer à l’ennemi en signant chez le voisin de Chelsea en 2014, l’Espagnol n’a jamais perdu la confiance de son aîné. Avant qu’il ne dispute son premier derby londonien dans l’autre camp, Thierry Henry affichait un soutien fort à son ex-coéquipier dans les colonnes du Sun : « Cesc Fabregas portera certes le maillot de Chelsea aujourd’hui, mais à mes yeux, il sera toujours en rouge. J’ai déjà entendu qu’il n’aura pas une super-réception de la part des fans d’Arsenal, mais je serai l’un de ceux qui l’applaudiront. »

Cesc Fabregas et Thierry Henry assisent à un match de NBA à l’O2 Arena de Londres, le 15 janvier 2015 / GLYN KIRK / AFP

En 2015, sur le plateau de l’émission « Monday night football », sur la chaîne Sky sports où il officie alors comme consultant, le Français livre une analyse tactique révélatrice de l’admiration qu’il lui porte : « Cesc a changé la mentalité d’Arsène Wenger. Nous jouions en 4-4-2 à plat et parce que Cesc était le joueur qu’il était, Wenger a commencé à penser qu’il fallait construire l’équipe autour de lui et il est passé au 4-3-3. »

Malgré son intermède barcelonais, où il ne fut qu’un joker de luxe, barré - comme en sélection nationale - par ses compatriotes Iniesta et Xavi, Cesc Fabregas est le plus anglais des footballeurs espagnols. En mettant bout à bout ses saisons sous le maillot des Gunners et celui des Blues, il est le deuxième meilleur passeur de l’histoire de la Premier league (111 contre 162 au Gallois Ryan Giggs). En championnat, il a inscrit 50 buts.

Dans un entretien à So Foot en 2012, pendant son passage au Barça, il cultivait sa singularité : « Je suis surtout différent par mon expérience anglaise. À Arsenal, je suis devenu un footballeur naturel. Avec Wenger, je me déplaçais où je voulais sur le terrain. On dit que mon style de jeu est anarchique, peut-être, mais au moins je suis moi. »

La tête plutôt que les jambes

Cesc Fabregas a souffert à l’été 2018 de l’intronisation du nouvel entraîneur de Chelsea, Maurizio Sarri. Il a très peu joué (à peine cinq matchs comme titulaires en championnat) alors qu’il avait été l’un des grands artisans - dans un rôle de milieu plus reculé, l’âge aidant - des titres de champion de Chelsea, en 2015 et en 2017.

« Il est l’un des rares à avoir cette capacité de donner des ballons derrière la ligne défensive qui soient aussi précis. Cesc est un top joueur », a salué, en guise de vibrant good-bye, l’entraîneur adjoint des Blues, Carlo Cudicini.

Fabregas n’a jamais été un monstre physique, sa vision de jeu et sa qualité de passe compensent un moteur ordinaire. Celui qui n’a connu que des grandes équipes, doit apporter son expérience et sa justesse technique : deux qualités qui manquent au milieu monégasque. Encore faudra-t-il savoir l’employer.

« Si tu as Fabregas dans ton milieu, et que tes défenseurs passent leur temps à jouer long, ça n’a aucun intérêt. De la même façon, au sein d’une équipe qui n’a pas la balle, l’avoir peut devenir plus un problème qu’autre chose, explique Florent Toniutti, l’un des fondateurs du podcast Vu du banc. Il vient d’abord pour apporter sa palette de passes et améliorer la préparation des actions monégasques. »

Un cahier des charges qui correspond aux ambitions initiales du coach Henry, adepte d’un jeu basé sur la possession. Avec l’arrivée de Fabregas, le technicien fait le pari que le maintien n’est pas qu’une question de sueur et de kilomètres avalés, mais que la technique et la classe ont aussi leur mot à dire.

Après tout, quand on a évolué pendant quatorze saisons au plus haut niveau, la Ligue 1 n’a rien d’un épouvantail.