La première ministre britannique, Theresa May, à la Chambre des communes, le 9 janvier 2019. / HO / AFP

Un autre jour, une autre défaite pour Theresa May sur le Brexit. La série d’échecs subis au Parlement, depuis lundi 7 janvier, dans les débats sur l’accord de sortie de l’Union européenne du Royaume-Uni augure mal de son approbation par les députés, mardi 15 janvier. Quelque soit le résultat du vote, une chose est sûre : pour peser dans la bataille parlementaire, les élus usent de tous les moyens pour faire pencher la balance en leur faveur, quitte à aller dénicher des pratiques institutionnelles quasiment oubliées.

Le bras de fer autour d’un des amendements votés cette semaine, contre l’avis du gouvernement, donne une idée de ce climat. D’après cette clause, si la première ministre perd le vote sur son accord le 15 janvier, elle n’aura que trois jours pour présenter son plan B au Parlement. Une majorité de députés a voté cette disposition mercredi 9 janvier, après un débat de plus d’une heure sur sa recevabilité. Selon la tradition, ont fait valoir les opposants de l’amendement, seul le gouvernement peut modifier le type de motion dont il était question.

Les députés pro-Brexit se sont appuyés sur une série de précédents remontant à la nuit des temps parlementaires. Le camp pro-Brexit a aussi accusé John Bercow, le président de la Chambre des communes, d’être partiel et d’avoir ignoré les conventions du Parlement. « Si on se basait uniquement sur les précédents, les choses ne changeraient jamais », s’est alors défendu M. Bercow. La députée travailliste Jess Phillips (opposée au Brexit) était sceptique quant à la sincérité de l’indignation. « Les gens sont seulement attachés à la procédure quand ils n’aiment pas ce qu’il va arriver », a-t-elle dit devant la Chambre.

Ce n’est pas la première fois que des usages parlementaires, parfois extrêmement techniques ou archaïques, génèrent des batailles de procédures. En novembre 2018, le Parti travailliste a ainsi eu recours au « humble address » (« humble discours »). Il s’agissait de contraindre l’exécutif à rendre public les conseils juridiques qu’il a reçus au sujet de la sortie du pays de l’UE, en s’adressant directement à... la reine. Une pratique rarrissime, surtout depuis le milieu du XIXe siècle. Le Labour de Jeremy Corbyn l’avait déjà utilisée avec succès en 2017 pour forcer le gouvernement à publier les études d’impact, tenues secrètes, du Brexit.« La procédure de l’humble discours pour forcer le gouvernement à agir a été enlevée des livres d’histoire, explique Louise Thompson, professeure de science politique à l’Université de Manchester. Je ne l’avais jamais vu utilisée de cette façon avant 2017. »

Pris de court, les observateurs ont eu du mal à se souvenir d’un précédent. Ils l’ont trouvé dans le « Erskine May », du nom de l’auteur de ce livre, publié pour la première fois en 1844. C’est le seul texte qui détaille les conventions qui gouvernent la Chambre des communes. Des pratiques qui ne sont pas codifiées, faute de Constitution.

Bataille juridico-historique

Le livre rappelle par exemple l’usage de phrases en français lors de l’adoption d’un projet de loi, un vestige de la conquête normande de l’Angleterre en 1066. Avec ses plus de 1 000 pages, ce pavé connaît depuis quelques temps un regain d’intérêt en raison du Brexit. Pour se procurer un exemplaire, il faut dépenser jusqu’à 439 livres (486 euros). La librairie du Parlement de Westminster est en rupture de stock.

Journalistes et parlementaires font aussi appel à des experts pour comprendre les enjeux. « La plupart des députés ne s’y connaissent pas en procédures. Ils dépendent de fonctionnaires et de conseillers pour leur dire ce qu’ils peuvent faire », continue Louise Thompson. Selon la chercheuse, le climat qui règne au Parlement est responsable de cet intérêt renouvelé pour les usages anciens, voire archaïques.

« Le gouvernement minoritaire rend la position de Theresa May très précaire et encourage les députés à tenter d’empêcher par tous les moyens le passage de ses propositions législatives », estime Mme Thompson. Pour cette dernière, les débats sont d’autant plus acharnés que les conservateurs au pouvoir et l’opposition travailliste sont divisés en leur sein sur la sortie de l’UE.

La bataille juridico-historique risque de durer : si Theresa May perd mardi 15 janvier, ce qui est le scénario le plus probable, elle pourrait être tentée de soumettre le texte à un deuxième vote du Parlement, si possible avant la date fatidique du 29 mars. Mais ses opposants préviennent déjà qu’ils n’accepteront pas une telle approche, inédite, selon eux, dans la vie parlementaire. Ils citent encore « Erskine May », qui interdit de soumettre un texte à un deuxième vote sans changements en profondeur de son contenu. La prochaine édition du livre sera disponible gratuitement en ligne, les contentieux ne font donc que commencer.