« J’ai le droit absolu de décréter un état d’urgence nationale. Je ne l’ai pas encore fait, mais je peux le faire » : c’est le nouveau leitmotiv du président américain, Donald Trump, empêtré dans son bras de fer avec le Congrès sur l’édification d’une barrière le long de la frontière avec le Mexique, sa principale promesse de sa campagne de 2016.

Jeudi 10 janvier, un de ses partisans, le sénateur républicain Lindsey Graham l’a engagé à franchir le pas :

« Il est temps pour le président Trump d’invoquer les pouvoirs d’urgence pour financer la construction d’un mur-barrière à la frontière. »

Invoquer l’état d’urgence permettrait au président de s’affranchir de l’aval de la Chambre des représentants, qui a basculé dans le camp démocrate et rejette ce projet jugé immoral et inefficace.

« L’urgence nationale », dans le sillage du Watergate

L’état d’urgence est régi par le National Emergencies Act (NEA), une loi fédérale votée en 1974 et signée par le président Gerald Ford en septembre 1976, dans le sillage de l’affaire du Watergate, pour empêcher un président d’agir de manière unilatérale.

La loi de 1976 a été conçue pour mettre fin à quarante ans de mesures d’urgences nationales décrétées par les présidents pendant la Grande Dépression, la seconde guerre mondiale, la guerre de Corée ou… une grève des postiers en 1970. « Pendant ces quarante années, le Congrès avait confié près de 500 pouvoirs discrétionnaires au président, sans prendre la peine de les abroger », écrit dans le Washington Post Andrew Rudalevige, professeur de sciences politiques au Bowdoin College de Brunswick, dans le Maine.

La NEA a instauré un contrôle par le Congrès, censé valider chaque année les mesures d’urgence.

Plus de 50 urgences nationales, dont 31 toujours en vigueur

Depuis 1976, les différents présidents ont eu recours 58 fois à l’état d’urgence, souligne CNN. La mesure d’urgence nationale décrétée par Jimmy Carter le 14 novembre 1979 et gelant les avoirs iraniens lors de la crise des otages américains à Téhéran est toujours en vigueur. Ces mesures reflètent essentiellement les centres d’intérêt de la politique internationale des Etats-Unis : Iran, armes de destructions massives, processus de paix au Moyen-Orient, trafic de drogue avec la Colombie, Cuba, Soudan, Balkans, 11-Septembre, Irak, Corée du Nord, Libye, Yémen, Ukraine, etc.

Sur les 58 urgences nationales, 31 sont toujours en vigueur, relève le Brennan Center for Justice.

Les nouveaux pouvoirs du président

La NEA « donne accès au président à des pouvoirs d’urgence contenus dans plus de 120 dispositions statutaires », souligne dans The Atlantic Elizabeth Goitein, codirectrice au Brennan Center, un institut de la faculté de droit de l’université de New York.

Ces dispositions traitent d’un large éventail de domaines allant des questions militaires à l’agriculture, la santé ou les marchés publics. Dans la plupart des cas, le président est libre de leur utilisation, la NEA n’exigeant pas que les pouvoirs invoqués soient liés à la nature de l’urgence.

Les pouvoirs d’urgence pourraient être utilisés pour financer une promesse politique sans l’approbation du Congrès

Dans le cas du mur avec le Mexique, le Washington Post affirme que la Maison Blanche envisagerait une modalité de financement permettant de construire plusieurs sections du mur voulu par le président en utilisant une partie des fonds du corps d’ingénieurs de l’armée américaine destinés à prévenir et lutter contre les catastrophes naturelles. En effet, le président n’est obligé de faire une déclaration au Congrès que pour un nombre limité de cas, note le Brennan Center.

Ce serait la première fois que les pouvoirs d’urgence sont utilisés pour financer une promesse politique sans avoir obtenu l’approbation du Congrès, indique Chris Edelson, un professeur de sciences politiques de l’American University de Washington, au New York Times. Elizabeth Goitein, du Brennan Center, explique au même journal que « proclamer une urgence nationale le long de la frontière sud » serait un abus de pouvoir.

Le Congrès n’exerce pas son droit de contrôle

En 2007, un rapport du service de recherche du Congrès, en charge de la recherche sur les politiques publiques, tirait le signal d’alarme sur le régime créé par l’état d’urgence. Le président « peut saisir des biens, organiser et contrôler les moyens de production, saisir des marchandises, affecter des forces militaires à l’étranger, instituer la loi martiale, saisir et contrôler tous les transports et communications, réglementer le fonctionnement des entreprises privées, restreindre les déplacements et, de diverses manières, contrôler la vie des citoyens des États-Unis ».

En 2014, une enquête d’USA Today relevait que le Congrès avait renouvelé 31 mesures d’urgence nationale, sans exercer de réel contrôle. « En six ans, le président Obama a déclaré neuf urgences nationales, a mis fin à l’une d’elle et a prorogé 22 mesures d’urgence nationale décidées par ses prédécesseurs ».

En 2019, le Brennan Center dresse le même constat et enfonce le clou dans The Atlantic : « Le président pourrait prendre le contrôle du trafic Internet américain, entravant l’accès à certains sites Web et garantissant que les recherches sur Internet renvoient le contenu pro-Trump au premier rang ». Et de rappeler qu’en août 2018, Donald Trump a adressé une mise en garde à Google, Twitter et Facebook qui « marchent vraiment sur un terrain mouvant. Et ils doivent être prudents. Ce n’est pas juste envers une grande partie de la population ».