Le président de la Fédération protestante de France, Francois Clavairoly, le vice-président du Conseil français du culte musulman, Anouar Kbibech, et le président du Consistoire central israélite de France, Joël Mergui, le 5 janvier 2017, à l’Elysée. / GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

L’exécutif s’est mis en trois pour exposer aux représentants des cultes, jeudi 10 janvier, les axes de la réforme qu’il veut engager autour de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Le président de la République, le premier ministre et le ministre de l’intérieur ont accueilli à l’Elysée leurs douze invités (deux pour chacun des cultes catholique, protestant, orthodoxe, juif, musulman, bouddhiste) dans une « ambiance très cordiale », selon plusieurs d’entre eux. Emmanuel Macron leur a remis une note de trois pages synthétisant les contours de cette réforme, destinée à favoriser une meilleure organisation du culte musulman et dont l’ébruitement, en novembre 2018, avait inquiété certains d’entre eux.

La note, que Le Monde s’est procurée, est intitulée : « Renforcer la laïcité, garantir le libre exercice du culte. » Elle affirme d’emblée la volonté de l’exécutif de « conforter » les « principes de 1905 »« la neutralité de l’Etat, la séparation des Eglises et de l’Etat, la garantie de la liberté de conscience et du libre exercice du culte » – même s’il s’apprête à amender cette loi. « Nous ne toucherons pas aux articles 1 et 2 de la loi de 1905 », précise-t-elle.

« Aucune ingérence »

Ces deux articles fondent le régime auquel les cultes sont aujourd’hui tous attachés. Cette affirmation de principe vise à les tranquilliser. « Notre projet législatif ne crée aucune ingérence dans l’organisation du culte proprement dit », indique l’exécutif. La note veut aussi répondre aux associations « laïques » qui se sont déjà cabrées contre une retouche de la loi de 1905, comme les signataires de « l’appel des 113 », publié par Marianne le 1er janvier. « Ils veulent que les cultes s’adaptent à la société républicaine, et non l’inverse : notre projet va dans ce sens », assurent les auteurs.

Le document ordonne la réforme autour de trois axes : « renforcer la transparence du financement du culte », « garantir le respect de l’ordre public », « consolider la gouvernance des associations cultuelles et mieux responsabiliser leurs dirigeants ». Il confirme que les associations qui gèrent un lieu de culte ne seront pas obligées d’opter pour le régime prévu par la loi de 1905.

Mais l’objectif est de pousser les gérants de mosquées, presque tous à la tête d’associations de droit commun « loi 1901 », à migrer vers le statut 1905. Ceux qui demeureront en « loi 1901 » devront respecter de nouvelles obligations (tenir des comptes annuels, un état comptable séparé des différents lieux de cultes gérés, une approbation annuelle des actes de gestion financière et patrimoniale par l’assemblée générale).

Régime plus attractif

Le régime des associations « loi 1905 » serait rendu plus attractif. Elles seules bénéficieraient de la garantie d’emprunt et des baux emphytéotiques administratifs (par lesquels les mairies aident les associations à construire un lieu de culte). Elles pourraient détenir des immeubles de rapport – une source de financement aujourd’hui interdite. Pour bénéficier de ces avantages, elles devront voir reconnue par le préfet leur qualité d’association cultuelle. En contrepartie, elles devront « respecter non seulement l’ordre public, mais aussi les droits et libertés garantis par la Constitution ». Les principaux actes de gestion devront être approuvés par l’assemblée générale. L’adhésion de nouveaux membres, la modification des statuts, la vente de biens immobiliers ou le recrutement d’un ministre du culte seront soumis à délibération.

Pour préserver l’ordre public, des sanctions seront renforcées. Ainsi, des propos appelant à la haine seront passibles d’un an d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende. Sera facilitée la dissolution d’associations (loi 1901 comme 1905) qui ne feraient pas le nécessaire pour faire cesser des troubles graves à l’ordre public dans les locaux qu’elles gèrent. Tout don de plus de 10 000 euros provenant de l’étranger devra être déclaré.

« Nous sommes maintenant tous d’accord pour dire qu’il faut adapter le cadre dans lequel s’exercent les cultes, sans toucher aux grands principes de liberté et de séparation. »

Jeudi, les représentants des cultes ont pu exposer leur point de vue. « Nous ne sommes plus seulement dans la consultation, mais dans la concertation, se félicite François Clavairoly, le président de la Fédération protestante de France. Et nous sommes maintenant tous d’accord pour dire qu’il faut adapter le cadre dans lequel s’exercent les cultes, sans toucher aux grands principes de liberté et de séparation. » Le vice-président du Conseil français du culte musulman, Anouar Kbibech, a retenu la confirmation qu’« il n’y aura pas de législation spécifique pour le culte musulman ».

Et maintenant ? Les responsables de cultes se réuniront avant un rendez-vous en février avec Christophe Castaner, le ministre de l’intérieur. Restera à convaincre les parlementaires. Le secrétaire général de la Conférence des évêques de France, Olivier Ribadeau Dumas, a mis en garde contre le risque politique inhérent à une retouche de la loi de 1905, qui est « pour certains un chiffon rouge ». « La loi de 1905 n’est pas un totem intouchable, un veau d’or, ironise François Clavairoly. Mais il ne s’agit pas non plus de tout chambouler. Entre les deux, il doit y avoir place pour la réforme. »