Rahaf Mohammed al-Qunun arrive à l’aéroport international Pearson de Toronto, au Canada, le 12 janvier. / CARLOS OSORIO / REUTERS

« Très heureuse » d’être réfugiée au Canada, une jeune Saoudienne qui a suscité une mobilisation internationale après avoir fui sa famille et son pays, a commencé une nouvelle vie à Toronto où elle est arrivée samedi 12 janvier.

Accueillie à l’aéroport par la ministre des affaires étrangères Chrystia Freeland en personne, Rahaf Mohammed al-Qunun, âgée de 18 ans, a brièvement posé, tout sourire malgré la fatigue, pour les nombreux journalistes venus l’attendre.

« Elle a fait un très long voyage, elle est épuisée et préfère ne pas répondre aux questions pour le moment », a commenté la cheffe de la diplomatie canadienne Chrystia Freeland. « Elle est très heureuse d’être dans sa nouvelle maison, même si elle m’a parlé du climat. Je lui ai dit qu’il peut faire plus chaud. » « Elle voulait que les Canadiens voient qu’elle était arrivée au Canada », a-t-elle ajouté, prenant par l’épaule la jeune femme qui arborait une jupe, une veste de survêtement affichant « Canada » et une casquette bleue siglée « UNHCR » (Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU).

Sur Twitter, la jeune fille a chaleureusement remercié son pays d’accueil non sans égratigner les autres : « Le seul pays qui m’ait vraiment aidée finalement est le Canada. Les autres ont eu peur et sont des lâches », a-t-elle commenté sur le réseau social à son arrivée à Toronto.

Acheter des vêtements chauds

La Saoudienne affirme vouloir fuir les abus psychologiques et physiques de sa famille, qui a démenti ces allégations. Elle se dit par ailleurs en danger dans son pays pour avoir l’intention de renoncer à l’islam. Après avoir semblé sur le point de trouver refuge en Australie, l’adolescente s’est finalement tournée vers le Canada, où le gouvernement du premier ministre canadien Justin Trudeau lui a rapidement accordé l’asile.

Elle a été prise en charge par l’association à but non lucratif Costi, basée à Toronto et spécialisée dans l’accueil des réfugiés, a confirmé une porte-parole de Costi jointe par l’Agence France-Presse. La jeune femme est allée dès samedi après-midi faire un peu de shopping pour s’acheter des vêtements chauds au centre de la mégapole de l’Ontario, selon cette source. Elle y connaît plusieurs personnes qu’elle a contactées.

Des responsables de l’association vont dans les prochains jours l’aider à ouvrir un compte en banque ou remplir diverses formalités administratives, avant de chercher un logement permanent. En attendant, elle va séjourner dans une structure protégée par des gardiens jour et nuit. L’association a conseillé à la jeune femme de ne pas révéler sa localisation précise.

L’arrivée de la jeune femme au Canada marque l’épilogue d’une odyssée internationale qui a attiré l’attention via les réseaux sociaux depuis une semaine. La jeune femme avait acquis une notoriété planétaire en créant un compte Twitter alors qu’elle était retranchée dans une chambre d’hôtel à l’aéroport de Bangkok, multipliant messages et vidéos désespérés.

Barricadée derrière sa porte d’hôtel

Une photo d’elle, barricadée derrière sa porte d’hôtel barrée d’un matelas, avait fait le tour du monde. Avec son téléphone, elle avait assuré qu’elle risquait la mort si elle était rapatriée de force. Elle avait notamment affirmé à Human Rights Watch (HRW) qu’elle souhaitait renoncer à l’islam, ce qui la mettait « sérieusement en danger » si elle rentrait dans son pays, souligne l’ONG. L’adolescente avait été arrêtée à son arrivée à Bangkok depuis le Koweït, où elle avait fait faux bond à sa famille et cherché à gagner l’Australie.

A la suite d’une mobilisation en sa faveur sur les réseaux sociaux, les autorités thaïlandaises avaient renoncé à la renvoyer contre son gré et l’avaient laissée quitter l’aéroport avec des représentants du HCR. Cette agence de l’ONU, dans un tweet, a salué « l’arrivée de Rahaf au Canada et la décision du gouvernement canadien de lui apporter une protection et une solution de long terme en tant que réfugiée réinstallée ». « Comme l’a dit le premier ministre [Justin Trudeau], le Canada croit très fort à la défense des droits humains dans le monde, et nous pensons fermement que les droits des femmes sont des droits humains », a insisté Chrystia Freeland.

La décision du Canada risque toutefois de raviver la crise diplomatique sans précédent qui mine les relations entre Ryad et Ottawa depuis l’été dernier. L’Arabie saoudite avait annoncé en août l’expulsion de l’ambassadeur du Canada, rappelé le sien et gelé tout nouveau commerce ou investissement avec le Canada. Cette décision faisait suite à un tweet d’Ottawa, quelques jours plus tôt, appelant à la libération immédiate de militants saoudiens des droits humains arrêtés peu avant, dont Samar Badaoui, sœur du blogueur emprisonné Raef Badaoui, dont la femme et les trois enfants vivent réfugiés au Québec.

L’Arabie saoudite est l’un des pays du monde les plus restrictifs pour les droits des femmes. Elles sont notamment soumises à la tutelle d’un homme (père, mari ou autre) qui exerce sur elles une autorité arbitraire et prend à leur place les décisions importantes.