Rue de Trévise, dans le 9e arrondissement de Paris, samedi 12 janvier. / Benoit Tessier/REUTERS

Comment est-ce possible ? Comment, en plein cœur de Paris, une fuite de gaz a-t-elle pu causer une explosion d’une ampleur aussi exceptionnelle, au point de détruire plusieurs immeubles haussmanniens, de métamorphoser des rues bourgeoises en scène de guerre, de tuer quatre personnes et d’en blesser une quarantaine d’autres, dont neuf grièvement ? Dans sa mairie du 9e arrondissement transformée en cellule de crise et en centre d’accueil des victimes, Delphine Bürkli est la première à s’interroger, après le drame survenu samedi 12 janvier.

« C’est un accident incompréhensible », répète l’élue Les Républicains (LR), les traits tirés : « Ces immeubles étaient tout sauf vétustes, et l’état du réseau gazier ne faisait pas partie des sujets de préoccupation. » Désormais, les pompiers tentent d’éviter que ces mêmes immeubles ne s’effondrent, et quelque 150 familles ne pourront pas rentrer chez elles avant des jours, des semaines, des mois peut-être. Le gaz, l’électricité et l’eau sont coupés dans une partie du quartier.

La police et les pompiers s’interrogent eux aussi. L’enquête ouverte par le parquet de Paris, dès samedi matin, a été confiée à la direction régionale de la police judiciaire. A ce stade, l’hypothèse accidentelle demeure privilégiée, a confirmé une source judiciaire au Monde. Mais pourquoi l’événement a-t-il été si dramatique ? La fuite durait-elle depuis plusieurs heures, ce qui aurait pu créer une poche de gaz particulièrement importante ? Des matières présentes sur place, comme la farine, ont-elles pu aggraver l’explosion ?

« Onde de choc »

Les dirigeants de GRDF, le gestionnaire du réseau de gaz, aimeraient également y voir clair. « Nous n’avions pas eu d’accident aussi grave en France depuis plus de dix ans », déclare un responsable. Le 28 février 2008, une explosion lors de travaux sur la voie publique dans le centre de Lyon avait entraîné la mort d’un pompier et fait une quarantaine de blessés. A Paris, il faut remonter bien plus loin, au 17 février 1978, pour retrouver trace d’une catastrophe similaire.

Le réseau de gaz de la capitale est « dans un état de vétusté avancé », a affirmé samedi Alexandre Vesperini, élu divers droite du 6e arrondissement, dans un entretien au Parisien, ajoutant : « Ce type d’accident peut se reproduire à de très nombreux endroits dans la capitale. » Des propos immédiatement contredits par la Mairie. « Cette polémique est indécente. Un petit malin veut se faire de la pub alors que l’enquête est en cours, dénonce Delphine Bürkli. Cela n’a aucun sens. » GRDF assure de son côté que le réseau de gaz est en bon état : « A Paris comme en France, il a en moyenne 24 ans, ce qui ne pose pas de problème. Seule l’enquête judiciaire permettra de déterminer les causes de l’accident. »

Il est 8 h 30 samedi matin. Les « gilets jaunes » ne se sont pas encore lancés à l’assaut de la capitale. La rue de Trévise est calme, d’autant que dans ce quartier où la communauté juive est assez importante, plusieurs commerces n’ouvrent pas le samedi. C’est le cas de la boulangerie Hubert, à l’angle de la rue Sainte-Cécile, et du restaurant voisin, Chez Max et Nico, refaits à neuf il y a deux ans. Pas de bruit, mais une forte odeur de gaz. Une habitante de la rue appelle les pompiers. Dix minutes plus tard, six d’entre eux arrivent au numéro 6. Deux se chargent de fermer la vanne de gaz. Les quatre autres montent dans les étages pour prévenir les résidents de ne surtout pas sortir ni toucher à l’électricité.

Mais, à 08 h 59, tout explose. Un fracas entendu des centaines de mètres à la ronde. En quelques secondes, plus rien ne reste de la pimpante boulangerie ni du restaurant. Le souffle de la déflagration retourne des voitures en stationnement. Les vitres de tout le quartier volent en éclats. Les deux pompiers occupés à couper le gaz, Simon Cartannaz, 28 ans, et Nathanaël Josselin, 27 ans, sont tués par l’explosion. « Ils se sont pris l’onde de choc très violente, de plein fouet », a expliqué le commandant des sapeurs-pompiers de Paris, Eric Moulin. Une touriste espagnole logée dans un hôtel de la rue meurt aussi. Le corps d’une femme de 28 ans qui habitait au premier étage, juste au-dessus de la boulangerie, est retrouvé dimanche matin dans les décombres.

« Spectacle de chaos »

« Nous étions dans notre lit quand nous avons entendu le bruit de l’explosion, et on a pensé à une bombe, racontent Marie-Claude et Thierry Rousseau, qui vivent rue Bergère, à l’angle de la rue de Trévise. Puis l’immeuble a tremblé, et on s’est dit : c’est la fin, tout va s’effondrer. On a crié. Les fenêtres ont été arrachées avec les huisseries, elles ont atterri sur le buffet et le lit. Les meubles ont valsé. Dehors, on a vu le restaurant en flammes. On a couru dans les étages pour voir si tout le monde allait bien, et on s’est retrouvés dans la rue. »

Des appartements pulvérisés, des débris de verre partout, des voitures en feu, des habitants habillés à la hâte qui errent, hagards, tandis que des centaines de pompiers accourent : « C’était un spectacle de chaos », témoigne Delphine Bürkli, arrivée très vite de la mairie voisine. Un pompier, enseveli pendant deux heures sous les gravats, est finalement extrait par ses camarades, qui sauvent plusieurs autres vies en prenant « des risques importants », selon le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner. Deux hélicoptères évacuent les victimes les plus graves.

Au total, vingt-quatre immeubles sont vidés de leurs occupants, douze restent totalement interdits. Des centaines d’habitants doivent trouver un lieu pour la nuit, et pour les suivantes, avec l’aide de la mairie. « Pour nous, c’est une catastrophe, confie l’avocat Arezki Chabane, dont le cabinet, voisin de la boulangerie et du restaurant, a été dévasté. Mais par rapport aux morts et aux blessés, nous sommes des privilégiés. »

Explosion à Paris : les images des dégâts
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