Près du marché Madina, à Conakry, en 2010. / Luc Gnago / REUTERS

Les noms d’oiseaux ont fusé à la sortie du Palais du peuple à Conakry, en Guinée, samedi 29 décembre 2018. Nanfadima Magassouba, députée et présidente du Forum des femmes parlementaires de Guinée, a claqué la porte du Parlement avec les 25 autres élues en colère : « Un coq pour dix poules, non merci ! » Un cri du cœur surgi après l’adoption d’un nouveau Code civil qui légalise la polygamie.

Ce jour-là étaient soumis à l’approbation des 114 parlementaires l’intégralité des 1 602 articles du Code, qui comporte aussi des dispositions favorables aux femmes, comme le partage de l’autorité parentale ou la liberté de choisir sa profession sans l’accord préalable de son époux. Mais les articles 281 et 282 indiquent que « le mariage peut être conclu soit sous le régime de la monogamie ; soit sous le régime de la polygamie limitée à quatre femmes. Faute par l’homme de souscrire à l’une des options prévues au présent article, le mariage est présumé placé sous le régime de la polygamie. »

Toutes les strates de la société

Les réactions n’ont pas manqué au sein de la classe politique comme de la société civile. Plusieurs députés de l’opposition se sont même abstenus de voter le texte. Des associations féministes, dont le collectif Pas sans elles, Synergie féminine pour la paix et le développement ou la Coalition des femmes leaders de Guinée (Cofel), ont adressé le 31 décembre une lettre ouverte au président Alpha Condé exigeant le retrait de ces dispositions et rappelant qu’elles sont en contradiction avec la Constitution guinéenne.

La loi fondamentale, élaborée en 1958 et révisée en 1990 et en 2010, assure en effet que « les hommes et les femmes sont égaux devant la loi et ont les mêmes droits ». Les féministes redoutent cependant que cela ne suffise pas. « Comment voulez-vous que ces députés votent contre une telle loi alors qu’ils sont tous polygames : le président de l’Assemblée, tout le cabinet des ministres, 80 % des magistrats, nos élus ! », explique Fatou Baldé Yansané, présidente de la Cofel.

« Cette situation reflète la réalité, analyse Afiwa Mata Ahouadjogbe, journaliste à Conakry. La loi interdit la polygamie, mais celle-ci se pratique dans toutes les strates de la société. Les députés ont voté pour leur intérêt et non pour celui du peuple ! » Les critiques pointent un texte doublement discriminatoire, car il impose un choix par défaut en faveur de la polygamie, alors que l’ancien Code exigeait l’autorisation écrite de la première épouse pour que son mari contracte un nouveau mariage.

« Il faut réviser le Code civil, mais dans l’autre sens : en criminalisant la polygamie, affirme Ousmane Gaoual Diallo, député de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG, opposition). Nous voulons fonder un Etat guinéen moderne. La polygamie produit trop de souffrance dans les familles. Les femmes ne sont pas seules concernées, beaucoup d’hommes ne souhaitent plus être polygames. »

« C’est une absurdité »

Dans les textes, la polygamie est interdite depuis cinquante ans. Mais la loi contient tellement de dérogations qu’il est presque impossible de l’appliquer. C’est l’argument défendu par Amadou Damaro Camara, président du groupe parlementaire Rassemblement du peuple de Guinée arc-en-ciel (RPG, majorité présidentielle), qui a voté le texte, arguant que « quand une loi ne peut être appliquée, elle est désuète et il faut l’abandonner ». Faux, lui répond Makalé Traoré, docteure en droit et présidente de la Coalition des femmes et des filles de Guinée (Coffig) : « Ce n’est pas parce qu’une loi n’est pas respectée qu’il faut l’abolir. Et encore moins la remplacer par une loi moins favorable. C’est une absurdité. Si elle n’est pas correctement appliquée, c’est par manque de volonté politique. »

Les parlementaires réfractaires et les militants associatifs qui ont travaillé plusieurs années à l’amélioration du Code s’insurgent aussi contre la manière employée pour faire adopter un texte en chantier depuis 2000. « Ces deux articles du futur Code civil avaient été largement débattus en commission et en séance plénière, argumente Ousmane Gaoual Diallo. Il était facile de faire voter article par article et de renvoyer les dispositions qui posaient encore problème. Mais c’est la totalité du Code civil qui a été soumis au vote ! Et nous avons découvert que 143 articles avaient été ajoutés sans avoir été soumis au Parlement. C’est du banditisme électoral ! » « C’est un recul sans précédent du droit des Guinéennes, dénonce Makalé Traoré, et une trahison du travail accompli. Nous nous battons pour l’avenir de nos filles et nos petites-filles. »

Une stratégie à risque

Face à cette colère, le chef de l’Etat, opposé à la polygamie, a exigé dans un courrier adressé aux députés le 4 janvier que l’ensemble du Code soit soumis à une seconde lecture. Il faudrait dans ce cas qu’il soit approuvé par les deux tiers des députés puis promulgué par le président.

L’opposition envisage, elle, de demander le réexamen des deux seuls articles litigieux. « C’est une chose de valider deux articles sur la polygamie lorsqu’ils sont noyés dans un Code progressiste, décrypte Ousmane Gaoual Diallo. C’en est une autre d’assumer publiquement de voter pour la légalisation de la polygamie seule ! Et cela, les parlementaires pro-polygamie n’oseront jamais. » Une stratégie qui n’est toutefois pas sans risque puisqu’un tel vote ne nécessiterait que la majorité simple.

Le soutien inattendu du président contre un texte porté par son cabinet a surpris. Les défenseurs des droits des femmes, eux, se disent soulagés : « Nous espérons que cette opposition de poids suffira », explique Makalé Traoré.

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