Le Canadien Robert Lloyd Schellenberg, condamné à mort par la justice chinoise, sur une image diffusée par la télévision d’Etat CCTV, le 14 janvier. / AP

Un Canadien, Robert Lloyd Schellenberg, a été ­condamné à mort lundi 14 janvier par un tribunal chinois pour trafic de drogue. Un jugement qui renforce la crise diplomatique entre les deux pays, née de l’arrestation le 1er décembre 2018 par le Canada, sur demande américaine, de Meng ­Wanzhou, directrice financière du groupe chinois Huawei, suivie par l’arrestation par Pékin de deux ­Canadiens, un ex-diplomate, Michael Kovrig, et un consultant, ­Michael Spavor, accusés de « menace à la sécurité nationale ».

Interpellé en décembre 2014 et condamné en première instance en novembre 2018 à quinze ans de prison et 150 000 yuans (19 000 euros) d’amende, M. Schellenberg avait fait appel. Cette démarche s’est retournée contre lui. La Haute Cour de la province du Liaoning (nord-est) a jugé le verdict trop « indulgent » et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Lundi, le tribunal de Dalian a estimé que ce Canadien de 36 ans avait joué un « rôle-clé » au sein d’un gang qui prévoyait d’acheminer 222 kg de méthamphétamines en Australie dissimulés dans des pneus. « Non contente de diffuser de la drogue dans un pays, l’organisation criminelle s’est étendue ­au-delà des frontières (…). Cela nuit à la santé humaine et à la stabilité des pays », a estimé le tribunal.

M. Schellenberg affirme de son côté être venu en Chine après avoir voyagé dans différents pays asiatiques et avoir été impliqué à son insu dans un réseau inter­national de trafic de drogue par l’intermédiaire d’un interprète touristique. M. Schellenberg a dix jours pour faire à nouveau ­appel.

Il s’agit pour Pékin d’« une nouvelle façon de faire pression sur le Canada », selon l’ambassadeur Guy Saint-Jacques, en poste en Chine entre 2012 et 2016

Le premier ministre canadien, ­Justin Trudeau, s’est dit « énormément préoccupé », estimant « très inquiétant que la Chine commence à agir de façon arbitraire pour appliquer la peine de mort ». La porte-parole de la diplomatie chinoise, Hua Chunying, a appelé mardi le Canada à « corriger ses erreurs et à arrêter de faire de telles remarques irresponsables ». Le ministère canadien des affaires étrangères a relevé lundi soir son niveau d’évaluation des risques au deuxième cran, sur une échelle qui en compte quatre. « Faites preuve d’une grande prudence en Chine en raison du risque d’application arbitraire des lois locales », met en garde le gouvernement fédéral. Guy Saint-Jacques, ambassadeur du Canada en Chine de 2012 à 2016, estime qu’il est clair que le gouvernement chinois trouve ainsi « une nouvelle façon de faire pression sur le Canada » après ­l’arrestation de Meng Wanzhou. Certains observateurs n’excluent pas que l’exécution de la peine ­dépende du sort réservé par le ­Canada à la dirigeante de Huawei.

Par ailleurs, depuis quelques semaines, les arrestations de Chinois et d’étrangers, non seulement pour trafic, mais aussi pour possession de drogue, semblent se multiplier. Les condamnations à mort d’étrangers pour trafic de drogue ne sont pas exceptionnelles en Chine. Interrogé par le New York Times, John Kamm, président de la Dui Hua Foundation, une organisation basée en Californie qui s’occupe des droits de l’homme, estime que la Chine a exécuté au moins 19 étrangers pour trafic de drogue entre 2009 et 2015.

Devant l’ambassade du Canada à Pékin, le 15 janvier. / GREG BAKER / AFP

Un Français, condamné à mort il y a plusieurs années pour trafic de drogue, est actuellement détenu à Canton. Mais tant M. Kamm que des organisations comme Amnesty International se disent surpris par la rapidité et la sévérité de ce second jugement à l’encontre de M. Schellenberg. L’indépendance de la justice est une notion qui, dans ce genre d’affaires, est pour le moins relative en Chine.

« Encadré par l’usage autoritaire d’un Etat-parti qui ne s’y soumet guère, le droit est souvent un artifice fragile, voire une comédie tragique », note la chercheuse Stéphanie Balme dans son ouvrage Chine, les visages de la justice ordinaire (Sciences Po, 2016). Mardi 15 janvier, le quotidien nationaliste Global Times reprochait au Canada de « politiser le droit ». Tout en niant un « verdict politique » dans le procès Schellenberg, le journal estime que « le procès va aussi envoyer le message que la Chine ne cédera pas aux pressions extérieures dans la mise en œuvre de la loi ».