Theresa May devant la Chambre des communes, les 15 janvier. / Mark Duffy / AP

Editorial du « Monde ». Telle une Rolls-Royce dont les freins auraient lâché et qui, inexorablement, glisserait le long d’une route en pente vers l’abîme, la Grande-Bretagne s’enfonce un peu plus dans la crise du Brexit. Le rejet, mardi 15 juin, par la Chambre des communes de l’accord de retrait de l’Union européenne conclu par le gouvernement de Theresa May avec Bruxelles était certes attendu, mais l’ampleur du vote négatif (432 non, contre 202 oui) donne une nouvelle dimension à la gravité de la situation.

Habilement, la première ministre conservatrice a aussitôt mis au défi le chef de l’opposition travailliste, Jeremy Corbyn, de déposer une motion de défiance, défi qu’il a relevé. Selon la plupart des pronostics, malgré le revers massif et historique subi mardi soir, Mme May devrait survivre à cette motion, non pas parce que les députés ont confiance en elle, mais parce qu’ils ont encore moins confiance en M. Corbyn.

Voici donc, deux ans et demi après le référendum par lequel 51,9 % des électeurs britanniques ont décidé de se séparer de l’UE, dix-huit mois après le début des négociations entre Londres et Bruxelles sur les modalités de ce retrait, la Grande-Bretagne revenue pratiquement à la case départ, sans perspective claire de ce que sera la prochaine étape dans cet épuisant processus. Pour paraphraser Theresa May, les députés ont exprimé clairement ce dont ils ne voulaient pas, mais on ne sait toujours pas ce qu’ils veulent.

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Qui exprime la volonté populaire ?

Deux conclusions de cette nouvelle crise dans la crise s’imposent. La tentation est grande, mais les Britanniques ne doivent pas attendre de l’Europe qu’elle règle leurs difficultés politiques internes. L’évolution de l’affrontement intra-britannique sur le Brexit révèle un problème crucial, celui du questionnement de la représentativité démocratique. Qui exprime légitimement, dans ce cas précis, la volonté populaire ? Le référendum de 2016, provoqué par des charlatans qui ont disparu de la circulation ? Les députés, élus en 2017 ? Les sondages, qui accordent depuis quelques mois une majorité aux partisans du maintien dans l’UE ? La crise du Brexit a ébranlé la vieille démocratie parlementaire britannique. Plusieurs pays sont actuellement confrontés à ces interrogations et la France n’est sans doute pas la mieux placée pour donner aux Britanniques des leçons de sortie de crise. Mais c’est aux Britanniques qu’il appartient de trouver la réponse au Brexit. Le plus tôt sera le mieux.

La deuxième conclusion est que l’UE, qui a fait preuve d’une unité aussi surprenante que remarquable dans cette affaire, doit continuer à se protéger. L’incapacité de Londres à régler la question du Brexit va provoquer un regain de tension avec Bruxelles, à l’approche de deux dates importantes : le 29 mars, échéance à laquelle le Royaume-Uni devait avoir quitté l’Union, et le 26 mai, date d’élections au Parlement européen qui s’annoncent particulièrement complexes. Londres va probablement demander un sursis, au-delà du 29 mars. Le regret de voir partir les Britanniques est unanime et sincère parmi les Vingt-Sept : personne ne souhaite leur fermer la porte. Mais trop d’énergie a déjà été perdue de part et d’autre depuis deux ans et demi dans ce processus. « Enough is enough », aimait dire Margaret Thatcher, illustre prédécesseure de Theresa May : « C’est assez » en effet. Le moment est venu de se décider.