Dans le quartier de la City, à Londres, le 16 janvier 2019. / ED ALCOCK / M.Y.O.P. POUR « LE MONDE »

Philippe Bernard, correspondant du Monde à Londres, a répondu aux questions des internautes à la suite du vote du Parlement britannique contre l’accord sur le Brexit.

Lili : Quel est le pronostic pour le vote de confiance ? Comment sont comptées les abstentions, si s’abstenir est permis (dans le vote d’hier aucune abstention n’est rapportée) ?

Jeremy Corbyn, le chef du Labour, a déposé cette motion de censure hier soir dans la foulée du vote des députés car il l’avait promis en application de sa stratégie de faire tomber le gouvernement May pour déclencher de nouvelles élections législatives. Mais il a peu de chances de remporter ce vote. La majorité est fixée à 320 votes à la Chambre des Communes. Le Labour en dispose de 256 et ses alliés pour cette motion de censure respectivement de 35 (Parti national écossais), 11 (LibDems), 4 (Plaid Cymru gallois) et 1 (Verts). Les 10 députés du Parti démocratique unioniste (DUP) nord irlandais alliés de Mme May, vont refuser la censure, comme la grande masse des 317 élus conservateurs qui n’ont aucune intention de laisser le pouvoir à M. Corbyn, qu’ils considèrent comme un dangereux marxiste.

Lip : Qui a le pouvoir de convoquer un second référendum ?

Seul le gouvernement peut prendre cette décision, comme il l’a fait pour le vote de juin 2016 sur le Brexit, ou pour celui de 2014 sur l’indépendance de l’Ecosse. Mais il faut aussi que les députés approuvent une loi qui l’organise. Ce sont eux par exemple qui décident de la rédaction de la question posée. Une proposition de loi visant à organiser un second référendum sur le Brexit a justement été déposée ce matin au Parlement par Dominic Grieve, ancien attorney general et député conservateur proeuropéen, lui-même favorable au maintien dans l’UE.

Thomas : Alors que l’hypothèse d’un « no deal » paraît plus menaçante que jamais, et sachant que l’une des principales raisons de l’échec du référendum d’indépendance de l’Ecosse était la sortie de l’UE, les Ecossais envisagent-ils un nouveau référendum d’indépendance ?

Il n’est pas exact que l’hypothèse d’un « no deal » soit plus menaçant que jamais. C’est plutôt le contraire depuis le vote des députés mardi soir. Non seulement une écrasante majorité de députés (probablement 600 sur 650) sont résolument opposés à un no deal qui serait catastrophique pour l’économie et l’emploi, mais la tendance est plutôt favorable à un accord encore plus proche de l’UE que celui négocié par Theresa May. La première ministre écossaise, Nicola Sturgeon (indépendantiste), est justement à Londres aujourd’hui. Elle réclame l’arrêt du processus de Brexit et un second référendum (sur le Brexit).

Aji : En cas de Brexit, le RU risque t’il d’exploser, comme l’Ecosse qui souhaite rester dans l’UE ?

Philippe Bernard : Le vote de 2016 favorable au Brexit était en effet limité à l’Angleterre et au Pays de Galles. L’Ecosse a voté à 62 % pour rester dans l’UE et l’Irlande du Nord à 55,8 %. Le risque de désunion existe donc. Mais ce n’est pas le problème de l’heure. Pour l’instant, c’est le Royaume-Uni dans son ensemble qui, depuis le rejet de l’accord avec l’UE hier soir par les députés, ne sait plus quoi faire du Brexit.

Anonyme : Est-il envisageable que la monarchie puisse prendre parti ? Cette option est-elle envisagée/sollicitée par certains britanniques ?

Non, une intervention de la reine est non seulement impensable mais elle serait perçue avec une grande hostilité. Qu’imaginez-vous d’ailleurs qu’elle puisse dire ? Qu’ils soient respectueux et/ou indifférents vis-à-vis de la monarchie, les Britanniques considèrent qu’elle n’a pas à se mêler de politique. La reine est largement utilisée comme un instrument de « soft power » sur le plan international et il peut lui arriver de glisser un mot lourd de sens dans certaines occasions (référendum sur l’indépendance écossaise). Mais la confusion est déjà suffisante sur le Brexit pour que personne ne souhaite qu’elle vienne mettre son grain de sel.

Jacques : Bonjour, et merci pour ce live. Depuis qu’il est acté que le RU peut seul décider d’annuler le Brexit sans l’accord des 27, les états membres pourraient-ils refuser d’accroître les délais pour leur permettre un second référendum pour les sanctionner d’avoir voulu partir ? Comment le suspens de l’article 50 se déciderait-il ?

Comme déjà indiqué, Londres peut stopper le Brexit mais il lui faut l’accord des 27 pour prolonger la procédure. Les Etats membres ont donc la possibilité de le refuser, mais on voit mal pourquoi ils le feraient si les Britanniques montraient enfin leur accord sur une solution acceptable des deux côtés. Le vide juridique qu’entraînerait un défaut d’accord (“no deal”) serait catastrophique pour le Royaume-Uni mais très dommageable pour les 27, en particulier pour la France (trafic trans-Manche, région des Hauts-de-France notamment).

victor64500 : Bonjour, L’ampleur du rejet du texte hier soir est-elle un camouflet pour Michel Barnier ?

C’est à coup sûr un camouflet pour Theresa May qui a négocié avec Bruxelles en “oubliant” qu’elle aurait besoin d’une majorité au Parlement en bout de course. Il s’agit d’un problème de leadership politique britannique qui n’est pas du ressort de l’UE. Michel Barnier a “fait le job” : maintenir l’unité des 27 (ce n’était pas gagné) et parvenir à un accord qui préserve l’intégrité et les prérogatives de l’UE. Mais vous avez partiellement raison : l’absence de deal est un problème pour l’UE.

Pascal_63 : En cas d’abandon du Brexit, le Royaume-Uni devra-t-il rembourser à l’UE tous les coûts engendrés par deux ans de procédures pour rien ? Ca semblerait logique, non ?

La question n’est pas posée et donc pas encore débattue. Il s’agit surtout d’une énorme consommation de temps et d’énergie des deux côtés. Le gouvernement britannique, phagocyté par le Brexit, ne fait plus grand-chose d’autre face aux problèmes du pays (inégalités sociales, pénurie de logement, etc). Mais en cas d’abandon du Brexit, l’UE serait trop heureuse de récupérer la contribution britannique.

Fabien : Si le Royaume-Uni quitte finalement l’UE sans accord, qu’adviendra t’il de sa dette d’une quarantaine de milliards d’euros envers l’UE ? S’il refuse de l’honorer, y aura t’il des sanctions de la part de l’UE ?

La dette en question (39 milliards de livres sterling soit 44 milliards d’euros) n’est pas un « droit de sortie » mais le montant des obligations déjà souscrites par le Royaume-Uni et qui ne seraient pas honorées en cas de Brexit. Certains responsables conservateurs brandissent la menace de son non-règlement si l’UE ne signe pas un accord de libre-échange dans les deux années qui viennent. Un divorce sans accord n’effacerait certainement pas cette dette aux yeux de l’UE mais provoquerait probablement un contentieux à régler par la Cour de justice de l’UE.