Jean-Claude Juncker avait quitté précipitamment la plénière du Parlement de Strasbourg, mardi 15 janvier après-midi, pour regagner ses bureaux du 13e étage, à la Commission européenne. De retour de Gdansk, en Pologne, où il rendait hommage à un ami, le maire de la ville décédé à la suite d’une agression sauvage l’avant-veille, le président du Conseil Donald Tusk peaufinait déjà, de son côté, sa réaction sur Twitter. Tout Bruxelles était sur le pied de guerre, ce mardi soir, dans l’attente du vote historique des députés britanniques sur l’accord du Brexit.

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Les Européens s’attendaient, certes, à une défaite pour Theresa May, la première ministre britannique, mais tout de même pas aussi cuisante. Le traité, ses annexes dont le fameux backstop sur la frontière irlandaise, et la déclaration politique sur la relation future avec l’Union européenne (UE), tous ces textes ont été sèchement rejetés par 432 voix négatives, contre seulement 202 pour.

Dans une brève déclaration, mardi soir, M. Juncker a « regretté » le rejet d’un traité qualifié de « compromis juste » et de « meilleur accord possible » et pressé les Britanniques de « clarifier leur position le plus rapidement possible ». Car à, désormais, deux mois et demi du Brexit – le 29 mars à minuit heure de Bruxelles –, « le risque d’un no deal désordonné a augmenté après le vote de ce soir ».

Exactement sur la même ligne, M. Tusk a lui aussi alerté sur le risque « augmenté » de divorce « désordonné » du Royaume-Uni. Néanmoins, « nous allons poursuivre le processus de ratification de l’accord » qui « est et reste le meilleur et le seul moyen » d’assurer un Brexit ordonné, a ajouté l’ex-premier ministre conservateur polonais.

« L’Europe restera unie »

De son côté, le chancelier autrichien Sebastian Kurz a mis en garde : « il n’y aura pas de renégociation de l’accord. » « L’Europe restera unie et déterminée à trouver un accord », a réagi, pour sa part, Michel Barnier, le négociateur en chef pour l’Union, tandis que le gouvernement irlandais faisait savoir qu’il accélérait ses préparatifs en vue d’un no deal.

Au-delà de ces réactions à chaud, c’est toute l’Europe qui entrait en territoire inconnu mardi soir. Ces dernières semaines, les négociateurs des Vingt-Sept avaient espéré qu’après une première défaite à la Chambre des communes, Mme May pourrait soumettre à nouveau leur accord commun aux députés. Quitte à lui offrir deux ou trois concessions supplémentaires mais symboliques sur la nature « forcément temporaire » du très décrié backstop irlandais.

Ce scénario du moindre mal était envisageable en cas de défaite limitée. Mais avec un tel écart de voix, leurs espoirs se sont en partie envolés mardi soir. Les 585 pages du traité, ayant nécessité dix-sept mois d’intenses négociations, sont-elles désormais périmées ? « C’est probable », estimait un diplomate. « Impossible de se contenter de petits aménagements », estime une autre source diplomatique.

Extension de l’article 50 ?

Seules certitudes mardi soir, du côté des Européens. D’abord, le risque du no deal a réellement augmenté d’un cran, comme l’ont dit M. Juncker et Tusk. Non pas parce qu’une majorité de députés britanniques souhaiteraient ce scénario catastrophe, mais parce qu’aucune majorité pour une autre solution négociée – un nouveau référendum ou même des élections générales – n’a, à ce jour, émergé aux Communes.

L’hypothèse d’une extension de l’article 50 est, désormais, dans toutes les têtes à Bruxelles. La probabilité pour que le gouvernement May, acculé, en fasse la demande, a fortement augmenté. Car il va forcement falloir du temps, si Londres propose à Bruxelles de négocier un accord sur de nouvelles bases.

Or, l’extension de l’article 50 pose des problèmes considérables à l’Union. Car si elle devait aller au-delà des élections européennes du 26 mai, le Royaume-Uni aurait l’obligation de participer à ce scrutin. A moins de changer les traités de l’Union dans l’intervalle, ce qui n’a quasiment aucune chance d’advenir. Le président Emmanuel Macron a été le premier, mardi soir, à évoquer publiquement cette hypothèse, suggérant que, « peut-être, les Britanniques vont vouloir prendre plus de temps, peut-être enjamber les élections européennes ».

Mardi soir, au-delà des interrogations, c’est un sentiment de gâchis qui dominait à Bruxelles. Le sentiment d’avoir consacré – peut-être en vain – une énergie collective énorme à boucler un accord du divorce le plus protecteur possible pour les Vingt-Sept. Un sentiment de frustration aussi, alors que l’UE, ses choix et son avenir, sont en grande partie otages par la politique intérieure britannique. « C’est un jour amer pour l’Europe », a résumé le vice-chancelier allemand, Olaf Scholz.