Patrick Vieira et Thierry Henry, en octobre 2008 avant un match de l’équipe de France contre la Roumanie. / FRANCK FIFE / AFP

L’un, Patrick Vieira, est aussi flegmatique sur son banc niçois qu’il pouvait être sanguin sur un terrain. L’autre, Thierry Henry, n’a pas encore tout à fait abandonné son costume de joueur pour enfiler celui d’entraîneur de Monaco. Frères de Méditerranée, où ils ont éclos au football professionnel il y a vingt-cinq ans (respectivement à Cannes et à Monaco), camarades de lutte chez les Gunners d’Arsenal et chez les Bleus, les deux hommes se retrouvent, mercredi 16 janvier, pour un derby de la Côte d’Azur attendu (match en retard de la 17e journée).

Au petit jeu obligatoire des comparaisons, l’analyse du classement des deux rivaux serait un peu simpliste. Avant cette rencontre, Nice est 8e avec 29 points, Monaco toujours relégable à la 19e place avec 14 points. Mais Vieira a pris ses fonctions dès l’avant-saison quand Henry a été appelé en homme providentiel à partir de la 10e journée, suite au limogeage du Portugais Leonardo Jardim.

Si 20 km seulement séparent les deux bizuths, ils n’ont pas hérité du même contexte. Quand Patrick Vieira bénéficie du confortable héritage laissé par son prédécesseur Lucien Favre, Thierry Henry a débarqué en pleine tempête tant son club formateur est chamboulé par les tensions entre la Principauté et son propriétaire russe, affaibli par une liste étourdissante de blessés et en famine de victoire depuis la première journée du championnat.

L’expérience en faveur de Patrick Vieira

Ceci étant évacué, les premières observations du travail en Ligue 1 des deux anciens champions du monde 1998 laissent apparaître quelques différences dans leur manière d’entraîner. La principale réside dans leur expérience réciproque.

L’ancien milieu de terrain a l’avantage d’avoir déjà exercé. Ses années à la formation de Manchester City et surtout ses deux saisons pleines en tant qu’entraîneur de la franchise New York City, en Major League Soccer nord-américaine, lui ont donné une incontestable avance.

Dans un article du Guardian, le journaliste Kristan Heneage, spécialiste de la MLS, saluait le travail du jeune technicien au moment de l’annonce de son départ : « Vieira quitte New York après avoir amélioré sa réputation et aussi celle de la ligue qu’il laisse derrière lui. »

Dès son arrivée, il a montré sa souplesse et sa capacité d’adaptation. Les Aiglons ont commencé la saison en 4-3-3 mais Vieira savait déjà qu’il serait certainement obligé de varier les systèmes : « C’est un schéma que j’aime beaucoup. On en utilisera sûrement un autre plus tard, à trois derrière. Le schéma change mais pas la philosophie de jeu, c’est l’animation qui importe. »

Malgré un début de saison compliqué – deux défaites et un match nul –, l’entraîneur ne s’est jamais affolé, diffusant un mélange de calme et de fermeté. Nice remonte au classement et progresse dans le jeu à son rythme. « Le Nice de Vieira est une équipe ambitieuse, qui essaie de jouer en s’inspirant énormément de Manchester City. Ce n’est pas anodin. On retrouve la défense à trois, le carré au milieu, un joueur offensif comme Saint-Maximin qui joue dans le couloir gauche mais se retrouve en vrai ailier en phase de possession, pareil pour Youcef Atal à droite, et enfin un attaquant de pointe », décrit Florent Toniutti, l’un des auteurs du podcast « Vu du banc ».

Dimanche 16 décembre 2018, la diffusion du documentaire de Canal+ Mister Vieira a illustré l’une des difficultés rencontrées par l’entraîneur des Aiglons. « C’est une manière de jouer qui est exigeante, il y a des principes à intégrer et à faire respecter. On le voit bien dans le reportage lorsqu’il parle notamment à Mario Balotelli en lui demandant de ne pas quitter sa zone d’avant-centre, que les ballons vont venir », ajoute Florent Toniutti.

La dure réalité du terrain

A l’inverse de son ancien coéquipier, Henry n’avait encore jamais occupé le poste de coach principal. Une saison avec les moins de 16 ans d’Arsenal et deux saisons en tant que deuxième adjoint du sélectionneur de la Belgique, Roberto Martinez, n’ont peut-être pas suffi à préparer l’ex buteur prolifique aux réalités de son futur métier.

Henry – doté d’une connaissance encyclopédique du football – n’avait pourtant pas hésité à assumer dans une longue tirade, presque naïve, des inspirations prestigieuses lors de sa première conférence monégasque : « Arsène Wenger m’a appris ce que c’était d’être un grand professionnel. Avec Pep Guardiola, qui est aussi une référence, on parlait beaucoup de jeu, on en parlait jusqu’à pas d’heure. Beaucoup de gens m’ont inspiré en France : je citerais Suaudeau et Denoueix. Jouer à une touche de balle, ils ont inventé la transition. Leur FC Nantes est une inspiration pour moi. »

En guise de beau jeu à la nantaise ou à la barcelonaise, Thierry Henry s’est dans un premier temps cogné à la dure réalité du terrain. Ses troupes manquaient trop d’expérience et de confiance pour assimiler en une poignée de séances ses exigences tactiques. Le 3-4-2-1 des débuts, avec des joueurs de couloir positionnés très haut sur le terrain, ne correspondait pas aux nombreux absents de son groupe et aux méformes de cadres comme Nacer Chadli, Djibril Sidibé ou encore Youri Tielemans.

Thierry Henry a connu des débuts d’entraîneur délicats à Monaco. / VALERY HACHE / AFP

Le 11 novembre, le Monaco d’Henry a reçu une gifle d’un PSG pourtant au petit trot ce soir-là (4-0). En conférence de presse, l’ancien attaquant sûr de lui a répondu à la place de l’entraîneur qu’il essaye de devenir : « Je vais voir si je prends une licence, lâche-t-il avant de se reprendre. Maintenant, il y a la trêve. Ceux qui sont aptes à jouer vont partir en sélection. On va travailler avec ceux qui restent. Je vais continuer. Cela n’a pas toujours été facile. Il faut rester positif. On joue le maintien on ne joue rien d’autre. »

Le mercato pour sauver Thierry Henry

Heureusement, Henry a su évoluer. Place à un 4-5-1 plus prudent, qui lui a offert un peu d’air et permis de grappiller ses deux premières victoires, contre Caen (1-0) et face à Amiens (2-0). « Après sa naïveté du début, il est devenu pragmatique. Ces deux victoires ont été acquises plus sur de la contre-attaque, par obligation de résultat », analyse Florent Toniutti.

Grâce au mercato hivernal, le coach monégasque va pouvoir pallier les nombreuses blessures qui compliquent sa tâche depuis son arrivée. « L’hécatombe de blessures rend compliqué de juger ses premiers mois de travail. Quand tu es obligé de faire jouer des gamins de 17 ans en Ligue des champions… », rappelle Florent Toniutti.

Dans ce contexte, les signatures du défenseur vétéran, Naldo (36 ans), du milieu de terrain Cesc Fabregas (31 ans), ainsi que du prometteur défenseur Fodé Ballo-Touré (22 ans), paraissent cruciales. Face à Marseille dimanche 13 janvier (1-1), les recrues – non qualifiées contre Nice – ont déjà apporté une première bouffée d’air frais et permis à d’autres de se libérer, à l’instar de Youri Tielemans.

Du côté de Nice, le mercato pourrait aussi avoir un impact. Si le départ du turbulent Mario Balotelli est l’Arlésienne depuis cet été, tant il a été annoncé et n’est jamais venu, le club espère cette fois-ci s’en débarrasser cet hiver.

Nanti de la pire attaque de Ligue 1 avec 13 buts, Nice a souffert de la mauvaise volonté du buteur italien, muet depuis le début de la saison. Faute d’avoir obtenu son bon de sortie, « Super Mario » boude et oblige Vieira à déployer des trésors de psychologie, entre écoute et fermeté. En partant, il pourrait libérer d’autres joueurs, à condition de trouver la perle rare pour le remplacer.

Une mauvaise nouvelle est toutefois venue assombrir le tableau pour Patrick Vieira. L’instabilité n’est pas une exclusivité monégasque : vendredi, le président niçois Jean-Pierre Rivère et son directeur général Julien Fournier ont annoncé qu’ils allaient quitter le club en raison d’un désaccord avec les actionnaires.

Sur la Côte d’Azur, les deux anciens champions du monde vivent un retour agité au cœur du football français. Une situation idéale pour faire ses preuves avant de rêver – peut-être – d’un retour en Angleterre, leur terre d’adoption.