Le militant Evan Mawarire lors de son arrestation à Harare, au Zimbabwe, le 16 janvier 2019. / Philimon Bulawayo / REUTERS

La police a arrêté, mercredi 16 janvier, une figure de la contestation au Zimbabwe, le pasteur Evan Mawarire. Cela constitue un nouveau tour de vis dans la répression d’une grève générale qui a viré en fronde contre le régime après l’annonce par le président Emmerson Mnangagwa, samedi soir, d’une forte augmentation des prix du pétrole dans un pays dévasté par la crise économique.

Porte-drapeau des manifestations antigouvernementales de 2016, le pasteur Mawarire a été interpellé dans la matinée à son domicile de Harare et placé en garde à vue. « Ils affirment qu’il a incité à la violence par le biais de Twitter et des réseaux sociaux », a déclaré son avocate, Beatrice Mtetwa. Evan Mawarire, connu pour son opposition à l’ex-maître du pays Robert Mugabe et à son successeur Emmerson Mnangagwa, a multiplié les appels à soutenir le mouvement. « Il est l’heure de mobiliser tous ceux qui aiment vraiment le Zimbabwe », avait-il lancé dimanche sur Twitter.

Entre cinq et huit morts, selon des ONG

De violentes manifestations ont éclaté depuis lundi dans tout le pays, notamment à Harare et à Bulawayo (sud), fief de l’opposition. Depuis lundi, les deux principales villes du Zimbabwe tournent au ralenti, privées de transports publics. De nombreux commerces y ont été pillés, des bâtiments et des voitures brûlées par la population en colère.

Les forces de l’ordre ont sévèrement réprimé les protestataires. Selon des ONG, la police a ouvert le feu à balles réelles sur les manifestants et fait entre cinq et huit morts ainsi que de nombreux blessés, certains gravement atteints. « Ceux qui sont responsables de l’usage de la force létale doivent faire l’objet d’une enquête et en rendre compte », a exigé Dewa Mavhinga, de l’ONG Human Rights Watch, dénonçant un « recours excessif à la force ». « Nous rejetons l’usage de la violence et de l’intimidation contre ceux qui exercent leurs droits démocratiques et leurs libertés fondamentales », a dénoncé mercredi le Conseil des églises.

La porte-parole de la police, Charity Charamba, a confirmé mardi la mort de trois personnes, dont un policier, et indiqué qu’au moins 200 personnes avaient été arrêtées. « Ces événements n’ont rien de spontané, ce sont des attaques délibérées contre les Zimbabwéens pacifiques, a justifié mardi la ministre de l’information, Monica Mutsvangwa. Les tentatives de renverser le gouvernement […] seront déjouées. » L’accès aux réseaux sociaux restait encore très limité mercredi au Zimbabwe, pour la deuxième journée consécutive. Le vice-président, Constantino Chiwenga, a nié mardi avoir ordonné la coupure d’internet. Mais l’opérateur Econet a publié ensuite une déclaration confirmant y avoir été contraint « sur ordre du ministre d’Etat auprès de la présidence ».

Pour la troisième journée consécutive, les centres-villes de Harare et de Bulawayo sont restés largement paralysés mercredi. La plupart des magasins y ont gardé leurs rideaux de fer baissés. A Bulawayo, des soldats armés de fusils automatiques patrouillaient dans les rues en fouillant les rares véhicules en circulation, selon un correspondant de l’AFP.

« La violence ne réformera pas notre économie »

Au pouvoir depuis la démission de Robert Mugabe, fin 2017, M. Mnangagwa a hérité d’un pays dans une situation économique et financière catastrophique, caractérisée par un manque criant de liquidités et une inflation galopante. La crise s’est encore accélérée ces derniers mois, provoquant des pénuries de la plupart des denrées de base, dont le pétrole.

Le gouvernement a annoncé la multiplication par deux et demi des prix de l’essence dans l’espoir d’en réduire la consommation et d’enrayer les nombreux trafics liés à la dévaluation de la quasi-devise locale, les « bond notes ». La population, qui redoute que cette hausse drastique n’entraîne une hausse générale des prix des autres produits, rend aujourd’hui le chef de l’Etat, élu en 2018, responsable de la situation. « On ne peut pas payer tous les jours 3 dollars pour une course en taxi, a dit à l’AFP Mulungisi Tshabalala, un habitant de Bulawayo. On est fatigué de Mnangagwa, il doit partir. » Le président a promis à maintes reprises de redresser la situation, sans résultat jusque-là.

M. Mnangagwa a appelé son pays au calme, mercredi, et promis une nouvelle fois que ses réformes pour redresser l’économie allaient payer. « J’appelle au calme et à la paix », a écrit sur Twitter le président, en tournée à l’étranger. « Il n’y a aucune justification à la violence contre les personnes et les biens, a-t-il ajouté. La violence ne réformera pas notre économie, la violence ne reconstruira pas notre nation. » « Je comprends la colère et la frustration de beaucoup d’entre vous », a poursuivi le chef de l’Etat dans son message : « Redresser l’économie du Zimbabwe est une tâche monumentale […] Nous sommes sur le bon chemin, nous y parviendrons. »