Certains internautes français ont eu la surprise de découvrir, ces derniers jours, des résultats de recherche Google à l’apparence étrange en tapant certains mots-clés. Des pages parfois très dépouillées, où les articles de presse remontant sur Google n’avaient plus d’images ni de titres, remplacés par des espaces vides, selon nos constatations.

Dans cette capture d’écran, effectuée par « Le Monde », les titres et photos des articles de presse référencés sur Google sont supprimés, remplacés par des espaces vides. Une « expérience », selon le moteur de recherche. / Capture d'écran

Un bug ? Un problème de connexion Internet empêchant la page de se charger correctement ? Pas du tout. Selon les déclarations d’un porte-parole de Google au Monde, il s’agit d’une « expérience » concernant « un petit nombre d’utilisateurs de l’Union européenne », et visant à « comprendre l’impact que pourrait avoir la proposition de directive européenne sur le droit d’auteur sur nos utilisateurs et nos éditeurs partenaires. »

Un texte controversé

Google s’intéresse principalement à l’article 11 de cette directive, qui fait partie, avec l’article 13, des passages les plus controversés de ce texte toujours en cours de négociation dans les instances européennes. Consacré au « droit voisin » des éditeurs de presse, l’article 11 veut donner la possibilité à ces derniers de réclamer des royalties quand des plates-formes numériques (Google, Facebook, etc.) diffusent ou agrègent des extraits de leurs articles accompagnés d’un lien. Une mesure qui vise particulièrement des services comme Google Actualités, qui affiche les titres, photos et premières lignes d’articles de presse.

La directive n’étant pas finalisée ni définitivement adoptée, les contours exacts de l’article 11, et de ses conséquences pour Google, sont encore inconnus. Mais pour se préparer, explique-t-on chez Google France, le moteur de recherche réfléchit à plusieurs cas de figure et à la forme que cela pourrait prendre, concrètement, sur le site.

Et comme de nombreuses autres plates-formes du Web, quand Google envisage une modification de son service, il la teste d’abord sur une petite portion des utilisateurs, afin de voir si cela fonctionne correctement, mais, surtout, pour analyser le comportement des internautes avant de valider, ou non, le changement.

Google nie toute provocation

Dans ce cas précis, Google dit chercher à savoir comment les internautes pourraient réagir à ces résultats très allégés, mais aussi quelles conséquences cela pourrait avoir pour les éditeurs de presse. Difficile d’imaginer que les propositions testées par Google ne génèrent pas une baisse considérable du trafic vers les sites de presse. Quand on recherche par exemple le terme « grand débat », sujet au cœur de l’actualité en ce mois de janvier, la version test supprime les titres et les photos des sites de presse comme Le Monde, Le Parisien ou BFM-TV – et aussi, étrangement, du site du gouvernement.

En revanche, ces éléments subsistent, dans cet exemple, sur un article de Sputnik – l’agence de presse officielle russe, qui propage régulièrement de fausses informations – et une vidéo de Jean-Luc Mélenchon.

A gauche, la version « normale » de Google, lorsque l’on cherche le mot clé « grand débat ». A droite, une version que teste Google auprès de certains utilisateurs. / Capture d'écran

Ces designs comme caviardés seraient-ils une provocation, à l’intention des éditeurs de presse et des législateurs, qui peuvent être en faveur de l’article 11 ? L’entreprise assure qu’il n’en est rien, tout en soulignant que la présence de contexte, dans des résultats de recherche, est pour elle un élément important afin que l’internaute choisisse de cliquer sur le lien le plus pertinent pour lui.

Toutes les études d’usage montrent en tout cas que les contenus accompagnés d’images sur Internet ont bien plus de chances d’attirer le clic que les autres. Concerné en 2014 par une mesure de ce type en Espagne, Google avait purement et simplement fermé son service Actualités dans le pays, refusant de verser de l’argent aux éditeurs de presse, qui avaient par la suite mécaniquement vu leur audience en ligne décroître.

Intense campagne de lobbying

Google a fait part, ces derniers mois, de son hostilité à l’égard de l’article 11. Dans un message publié le 6 décembre, Richard Gingras, responsable de Google Actualités, expliquait que cette directive allait selon lui nuire aux petits médias, et donc à la pluralité de l’information.

« L’article 11 pourrait nécessiter que les services en ligne établissent des contrats commerciaux avec les éditeurs de presse pour afficher des liens hypertextes et du contenu. Les services en ligne (…) devront choisir avec quels éditeurs ils travailleront. Aujourd’hui, plus de 80 000 éditeurs dans le monde peuvent apparaître dans Google Actualités, mais l’article 11 réduirait considérablement ce nombre. »

Une mesure qui, selon lui, « risque sérieusement de limiter la possibilité des utilisateurs de découvrir et d’accéder à une diversité de points de vue et d’opinions ».

Le texte de la directive européenne sur le droit d’auteur fait l’objet d’une intense campagne de lobbying, notamment de la part de Google. Sa plate-forme de vidéos YouTube s’attaque notamment frontalement à l’article 13, lui aussi toujours en discussion, dont l’objet initial était d’imposer aux grandes plates-formes du Web la mise en place de mécanismes de filtrage automatique de contenus postés par les internautes afin qu’ils ne contreviennent pas au droit d’auteur. La plate-forme a mobilisé les youtubeurs sur la question et diffuse des messages publicitaires sur d’autres services très populaires, comme Instagram, exhortant les internautes à « sauver » Internet.