Gina Miller, à Paris, le 17 janvier 2019. / ALAIN JOCARD / AFP

Gina Miller est une des principales figures de la campagne britannique pour faire annuler le Brexit. Et pourtant, même cette femme d’affaires de 53 ans, qui s’est fait connaître pour avoir fait un procès au gouvernement britannique après le référendum de 2016, pense que l’hypothèse d’un nouveau référendum ne peut être que « la dernière des options ». « J’espère d’abord que les députés auront le courage de prendre les bonnes décisions pour le pays », a défendu, jeudi 17 janvier, cette lobbyiste expérimentée auprès du Monde, en marge d’un déplacement à Paris pour rencontrer les sénateurs du groupe d’étude sur le Brexit.

Selon elle, la campagne pro-européenne ne gagnerait pas forcément un deuxième vote. « Je crains que les militants pro-UE n’aient pas appris les leçons de la dernière fois, et qu’ils n’aient pas assez écouté les gens qui ont voté pour le Brexit », explique-t-elle, en soulignant aussi le risque accru de tensions dans une société britannique déjà à cran : « Les divisions ne sont pas aussi importantes que certains veulent nous faire croire, mais elles pourraient s’aggraver. »

En 2016, cette Britannique d’origine guyanaise est devenue célèbre dans tout le Royaume-Uni en obtenant de la justice britannique que Westminster se prononce sur le déclenchement de l’article 50, contre la volonté du gouvernement qui voulait en garder la prérogative. Depuis, cette dirigeante de fonds d’investissement a fait l’objet de campagnes violentes de la part des partisans les plus durs de la séparation du Royaume-Uni de l’Union européenne. A la suite de sa victoire, la militante anti-Brexit a lancé en septembre 2018 une campagne, « End The Chaos » (« Mettre fin au chaos »), avec l’objectif de sensibiliser les gens aux réalités de l’UE.

Face au blocage actuel, après le vote négatif de Westminster du mardi 15 janvier, cette ancienne collaboratrice du Parti travailliste fâchée avec son chef, Jeremy Corbyn, estime qu’il est désormais plus prudent d’envisager une adoption par le Parlement du « modèle norvégien », qui permettrait au Royaume-Uni de sortir de l’UE tout en restant dans le marché unique.

« Beaucoup de gens ont été dupés »

« J’ai toujours été en faveur du maintien dans l’UE, mais si nous aboutissions au modèle norvégien, ce serait toujours mieux que la situation dans laquelle nous sommes actuellement, affirme-t-elle, effrayée de la perspective d’une sortie sans accord. Nous avons parlé avec beaucoup de gens qui pensent que no deal veut dire que rien ne changerait. Nous nous battons contre ce genre d’incompréhension. »

Ce choix s’explique aussi par des questions d’agenda. Le Royaume-Uni devra quitter l’UE le 29 mars, et, selon Mme Miller, il faudrait entre neuf et onze mois pour organiser un nouveau référendum. Elle n’exclut pas de demander aux Britanniques de valider ensuite cette option en tranchant entre « rester dans l’UE ou garder l’option norvégienne ».

Le modèle norvégien représenterait un « Brexit doux » : le Royaume-Uni appliquerait la plupart des règles européennes. Pour l’instant, ni la première ministre, Theresa May, ni Jeremy Corbyn ne sont prêts à accepter la libre circulation des citoyens européens, qui s’applique en Norvège. Pour résoudre ce problème, Gina Miller se penche vers un modèle dit « Norvège plus ». « Peut-être que limiter la libre circulation pourrait représenter le “plus” dans le modèle “Norvège plus”. Il faudra voir si c’est possible. » Une piste qui a toutefois été systématiquement écartée par les négociateurs européens.

Un tel référendum laisserait de côté les Brexiters les plus durs. « Je ne crois pas que ce serait une trahison. Beaucoup de gens ont voté pour quitter l’UE à cause des promesses : plus d’argent pour le système de santé ; des accords de libre-échange faciles à faire (…). Ils ont été dupés, assure Mme Miller. Je me rends dans beaucoup d’endroits pro-Brexit, et oui, les gens sont en colère, mais ils n’affichent pas la haine que je reçois de la part d’un petit groupe d’extrême droite. »