Andry Rajoelina, le 17 décembre à Antananarivo. / AP

Morondava, côte Est de Madagascar, 26 octobre 2018. Andry Rajoelina traverse la ville, juché sur un 4x4 crème. Cheveux gominés, sourire ravageur, le candidat à l’élection présidentielle salue les milliers de Malgaches venus l’applaudir. Tee-shirts et lambahoany (costume traditionnel malgache) floqués à son effigie, goodies, hélicoptères et drones : chaque meeting de campagne sur la Grande île se transforme en rutilante démonstration de force.

Des bidonvilles s’étendent à quelques centaines de mètres de l’estrade. Peu importe : Andry Rajoelina fait montre de son charisme à l’attention des plus démunis qui se souviennent de certaines de ses réalisations – quelques hôpitaux et un stade – lorsqu’il était à la tête du pays (2009-2013). « Vous vous rendez compte, il a fait tout ça sans aucun argent de l’extérieur », s’exclame Jeunesse, enthousiaste, vendeuse de bananes à Morondava. Sur les réseaux sociaux, l’équipe de campagne s’active. A force de live Facebook, de photographies léchées sur Instagram et de tweets, elle a su habilement saturer l’espace médiatique et virtuel.

« Ce n’est pas un idéologue »

Argent et communication : la méthode a en tous cas payé. Quatre ans après avoir quitté le pouvoir, Andry Rajoelina est de retour. Il a été élu président de Madagascar avec 55,6 % des voix face à son vieux rival Marc Ravalomanana. « Ce n’est pas un idéologue, reconnaît une source diplomatique, mais il est extrêmement déterminé et a un excellent instinct politique. Il a quand même survécu à plusieurs tentatives de coups d’Etat quand il était président et a dû composer avec des gouvernements qui ne lui étaient pas acquis. ». Samedi 19 janvier, le tenace Andry Rajoelina sera officiellement investi dans sa nouvelle fonction.

La victoire de « TGV », surnom lié à son ascension fulgurante, est une sacrée revanche. Issu de la classe moyenne malgache, le jeune Andry Rajoelina s’est lancé, dès son bac en poche, dans une carrière d’entrepreneur. En 1999, il crée Injet, une société de publicité et d’impression numérique, la première de ce type sur l’île. Son mariage en 2000 avec Mialy Razakandisa, héritière de la femme d’affaires Nicole Razakandisa, lui permet de mettre un pied dans la haute société malgache. En mai 2007, il rachète les stations de radio et de télévision Ravinala qu’il renomme Viva FM et Viva Télé. Il se présente à la mairie de « Tana », la capitale, et l’emporte.

Deux ans plus tard, le jeune maire, alors surtout connu pour ses talents de disc jockey, réussit à faire tomber le président Marc Ravalomanana, accusé de favoriser ses propres intérêts économiques et de dérive autoritaire. Le jeune homme de 34 ans, soutenu par l’armée, prend la tête d’une Haute Autorité de la transition, qui garde finalement le pouvoir pendant quatre ans. Pour protester, les bailleurs suspendent une grande partie de l’aide internationale à l’île et exigent, pour la reprendre, que les deux protagonistes de la crise ne se présentent pas aux élections. Andry Rajoelina promet alors de prendre sa revanche en 2019.

Retour minutieusement préparé

Son retour ne doit en effet rien au hasard : Andry Rajoelina a, dans l’ombre, patiemment attendu son heure et minutieusement préparé son retour. C’est le 26 janvier 2018, au Petit Palais à Paris, qu’il prend la parole pour la première fois après quatre ans de retrait de la vie politique. Il présente alors en grande pompe son Initiative pour l’Emergence de Madagascar (IEM), une plateforme réunissant des experts internationaux pour, explique la brochure, « proposer des solutions concrètes au pays ».

Le 1er août 2018, il se déclare officiellement candidat et mène alors tambour battant sa course à la magistrature suprême, parcourant le pays de fond en comble, de Tamatave à Fort Dauphin en passant par Tuléar. S’il a été absent de la Grande île pendant plusieurs années, ses médias et son parti, le Mapar, sont eux restés bien implantés dans le paysage politique, restant même majoritaire à l’Assemblée Nationale.

Sa stratégie consiste aussi à gommer cette image politique de jeune premier – quand il arrive au pouvoir en 2009, il est à 34 ans le plus jeune chef d’Etat africain en exercice – et de se réapproprier son récit. Exit le « DJ putschiste » comme le surnomment certains journaux. « Il faut rappeler l’histoire : Marc Ravalomanana a démissionné sous la pression populaire. La Haute Cour constitutionnelle [HCC] a validé le fait qu’il ait transmis le pouvoir aux militaires, qui me l’ont transmis ensuite, expliquait-il au Monde en août 2018. Donc ce n’était pas un coup d’Etat. C’était une révolution actée et validée par la HCC. »

« Frilosité certaine envers la transparence »

Le chef de l’Etat a beau ripoliner un peu le passé, la débauche de moyens qui a accompagné sa campagne électorale continue de questionner. Comme la quasi-totalité des candidats à la présidentielle, Andry Rajoelina a refusé de répondre aux questions de l’ONG Transparency International sur ses fonds de campagne. « Le fait qu’il n’ait ni signé la Charte d’Intégrité et de bonne conduite des candidats, ni répondu aux questions sur les fonds reflète une frilosité certaine envers la transparence, déplore Ketakandriana Rafitoson, la directrice de l’ONG. Nous sommes très curieux de découvrir les détails de sa politique anticorruption qui a été à peine effleurée pendant la campagne. »

L’entourage d’Andry Rajoelina intrigue également : parmi les participants aux conférences de l’IEM, on compte le très discret et controversé millionnaire Maminaina Ravatomanga, dit “Mamy”, figurant sur la liste Forbes des Africains francophones les plus riches. L’homme fait l’objet d’une enquête, à Paris, du Parquet National Financier pour blanchiment et fraude fiscale liés à l’acquisition d’appartements à Levallois-Perret. Les magistrats s’interrogent sur la provenance de l’argent ayant permis à ce très proche de M. Rajoelina d’acquérir des biens immobiliers en France pour un montant de 4,5 millions d’euros.

Autre sujet d’inquiétude entourant l’élection du président malgache : l’environnement. « La forêt malgache disparaîtra en cinq ans si Andry Rajoelina continue sa gestion des ressources naturelles comme pendant la Transition », alerte Ndranto Razakamanarina, président de l’Alliance Voahary Gasy, plateforme des ONG environnementales. De 2009 à 2011, une recrudescence sans précédent de trafic de bois de rose avait été observée sur l’île. « La protection de l’environnement est un élément essentiel de l’IEM », rétorque Naina Andriansitohaina, coordinateur du département socio-économique de l’Initiative.

Adoubé par les urnes et par la communauté internationale – plusieurs chefs d’Etat seront présents pour son investiture ce samedi au stade de Mahamasina à Antananarivo – le jeune président malgache assure qu’il a appris des erreurs passées, mûri et est en capacité de relever les défis du pays : 25 millions d’habitants dont les deux tiers vivent avec moins de deux dollars par jour.