Rassemblement en hommage au maire de Gdansk, Pawel Adamowicz, le 18 janvier. / AGENCJA GAZETA / REUTERS

Officiellement, ce ne sont pas des funérailles nationales, mais dans les faits, elles sont royales. En Pologne, moins d’une semaine après l’attaque au couteau qui lui a coûté la vie, lundi 14 janvier, le maire de Gdansk, Pawel Adamowicz, a été salué une dernière fois par plus de 50 000 personnes – l’équivalent de 10 % de la population de cette ville – avant d’être transporté au milieu d’une escorte nombreuse jusqu’à son ultime demeure.

Une salve d’hommages officiels doit encore lui être rendue, samedi 19 janvier, en la monumentale église Sainte-Marie avec la participation du président de la République Andrzej Duda, du premier ministre Mateusz Morawiecki, du président du Conseil européen Donald Tusk et de trois chefs d’Etat à la retraite, dont l’Allemand Joachim Gauck et le prix Nobel de la paix polonais Lech Walesa.

Si le niveau très élevé de représentation à cette cérémonie doit sans doute autant aux circonstances du décès qu’à la biographie de la victime, les habitants de Gdansk, eux, semblent avoir voulu avant tout exprimer leur reconnaissance pour « leur » maire, enfant du pays élu six fois à l’Hôtel de Ville. En novembre 2018, avec le slogan « Tout pour Gdansk », il avait reçu au second tour près de 65 % des voix. « Gdansk était pour lui son troisième enfant », a déclaré dans un émouvant discours Antonina Adamowicz, 15 ans et aînée des deux filles du défunt.

« Ouvert, souriant »

La ville le lui rend bien. Après lui avoir offert leur sang pour transfusion dans la nuit suivant l’attaque, lorsque Pawel Adamowicz était encore entre la vie et la mort, les habitants avaient organisé toute la semaine des manifestations spontanées comme un « plus grand cœur du monde » formé de plus de 30 000 bougies. Jeudi soir, la municipalité avait pris le relais en exposant le corps au Centre européen de solidarité pour permettre à chacun de faire ses adieux au maire dans l’une de ses réalisations phares. A la fois lieu de débat et musée consacré au célèbre mouvement social, le Centre jouxte les grues des chantiers navals où, en 1980, Lech Walesa et ses camarades avaient contraint le régime communiste à autoriser la création de syndicats indépendants.

Toute la nuit, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont fait la queue patiemment dans le gel pour un dernier bref contact avec leur maire. Pour Kazimierz, 72 ans, « Pawel Adamowicz était ouvert, souriant et parlait avec tout le monde », des qualités répétées presque systématiquement. En journée, les jeunes étaient moins nombreux, mais Gawel, 25 ans, était présent pour regretter la perte de l’« homme très bon » qui lui avait remis une médaille à l’issue d’une course à pied.

Dans la file, seuls ceux qui sont venus en groupe discutent. L’hommage est un exercice solitaire, même quand il se pratique en foule. Les regards ne sont plus humides ou les visages crispés comme au lendemain du drame : les citoyens de Gdansk sont calmes et veulent simplement saluer leur maire. Personne n’aborde de façon spontanée la question du tueur ou du climat de « haine » mis en cause par de nombreux médias et personnalités publiques. « On dit que le type est peut-être irresponsable, mais pour l’instant, on ne peut tirer aucune conclusion, il faut attendre les résultats de l’enquête », commente Kazimierz. Certes, la retraitée Wislawa motive aussi sa venue par un « désir de protester contre la violence », mais n’en dira pas davantage sur ses sources. Un jour de deuil, ce n’est pas le propos.

Risque d’instrumentalisation

Une photo du maire de Gdansk Pawel Adamowicz lors de ses obsèques, le 18 janvier. / WOJTEK RADWANSKI / AFP

A l’écart de la file, un homme a bien une idée. « Je m’appelle Janusz Maliczenko, j’ai 63 ans, dont la moitié passée aux chantiers navals. Notez bien que je soutiens le PiS [Droit et justice, le parti ultra-conservateur au pouvoir depuis 2015 et dont le libéral Pawel Adamowicz était un opposant]. Je suis venu dire adieu au maire de Gdansk, tué par un bandit. Il n’était pas de mon bord politique, mais quand j’ai appris sa mort à la télé lundi, j’ai pleuré comme si c’était mon frère. Il a été élu démocratiquement, et même si je n’avais pas les mêmes idées que lui, je n’aurais jamais souhaité sa mort. »

Dans son coupe-vent noir, il se tient en retrait, laissant sa femme attendre dans la file, car ses problèmes de dos, dit-il, l’empêchent de rester longtemps immobile. Ce n’est pas la seule raison. « Peut-être que ce n’est pas écrit PiS sur mon front, mais je n’ai pas envie d’entendre dire que c’est le PiS qui a tué Adamowicz. » Bien que personne n’affirme aujourd’hui publiquement une telle chose, chacun des deux camps redoute que l’autre instrumentalise le crime à des fins politiques.

Le meurtre de Pawel Adamowicz peut-il à l’inverse contribuer à renouer le dialogue et reconstruire la confiance ? C’est ce que Janusz souhaite, même s’il est pessimiste. « La logique chrétienne nous conduit de l’amour à l’espoir pour les vivants », a de son côté rappelé l’évêque Zbigniew Zielinski lors de la messe funèbre de vendredi. Il reviendra à son supérieur, Mgr Slawoj Leszek Glodz, de prendre la parole pour celle d’aujourd’hui devant les dirigeants politiques.