Céline Lannoye, 31 ans, à la tête des crémants de bordeaux Celene. / Eric Nunès/"Le Monde"

Elle l’assure, elle a peut-être été un peu timide. « J’étais quelqu’un qui n’osait pas. » Aujourd’hui, Céline Lannoye a changé. A seulement 31 ans, elle a déjà multiplié les vies professionnelles. Avec une ligne directrice : les métiers du vin. Elle est désormais patronne de la maison Celene, productrice de crémant de Bordeaux.

Cette marathonienne des affaires débute à l’été 2007. Etudiante à la Kedge Business School de Bordeaux, elle quitte l’Europe pour la Floride et un stage de troisième année en entreprise. Son avion n’a pas encore atterri que l’apprentissage du dépassement commence : « Mon vol a du retard, je rate la correspondance, je perds mes bagages, je suis perdue dans un aéroport de la taille d’une ville et, bien sûr, mon téléphone portable est incompatible avec le réseau local », raconte-t-elle. Au guichet, l’employée lui répond « avec un accent du sud des Etats-Unis à couper à la tronçonneuse », et lui tend un billet « en criant RUN ! [“Courez !”] ». La jeune Française traverse l’aérogare en courant. « Et je m’envole pour Destin. Cela ne s’invente pas ! »

Immersion américaine

Rien ne prédestinait Céline Lannoye à faire carrière au milieu des vignobles. Originaire d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), d’une famille aisée, la collégienne occupait son temps libre entre danse classique, violoncelle, piano, équitation… A 16 ans, changement de programme : « Ma mère a toujours rêvé de gérer un domaine viticole. En 2001, elle a l’occasion d’acquérir Château Lanbersac [AOC puisseguin-saint-émilion, en Gironde]. Elle s’installe là-bas avec ses trois ados sous le bras. Nous passons de la grande ville à la province profonde… »

Bachelière, la jeune femme choisit d’intégrer l’European Business Program de Kedge. « Le côté international me plaisait », dit-elle. Un cursus, en partenariat avec la Hull University Business School, à Kingston-upon-Hull, dans le nord-est de l’Angleterre et dont la troisième année se passe sur le terrain, en stage, à l’étranger.

« Monter un business de distribution aux Etats-Unis, créer sa boîte en sortant du stage de troisième année et poursuivre ses études, c’est incroyable. C’est l’ADN de l’entrepreneuriat. Il y a des gens qui l’ont. » Jacques-Olivier Pesme, ancien directeur de l’European Business Program de Kedge

« Un ami d’ami, un concours de circonstances me permettent de décrocher un poste de vendeuse chez un distributeur américain », en Floride, dans la petite station balnéaire de Destin. « J’ai adoré cette année. C’était une immersion totale, chaque détail de la vie était un cap à franchir : passer son permis, assurer sa voiture, travailler au quotidien… Les choses simples étaient hyper intenses ».

Céline Lannoye acquiert l’assurance que les occasions doivent se saisir. Elle rentre à Kingston-upon-Hull pour sa dernière année d’études. Avant qu’elle parte, son maître de stage lui propose de s’associer avec lui : « Les importateurs américains de vin étaient alors surstockés, c’était l’occasion d’acheter. Nous montons trois magasins de discount en Floride, un à Destin, un autre à Orlando, un troisième à Miami. Je gère à distance, en poursuivant mes études en Angleterre. »

Dix ans plus tard, Jacques-Olivier Pesme, enseignant de Kedge et ancien directeur de l’European Business Program, s’en souvient encore : « Monter un business aux Etats-Unis, créer sa boîte en sortant du stage de troisième année et poursuivre ses études, c’est incroyable. C’est l’ADN de l’entrepreneuriat. Il y a des gens qui l’ont. »

Le goût d’entreprendre

Le goût d’entreprendre estompe celui des études. « Quand vous avez commencé une vie professionnelle, c’est compliqué de revenir en cours », reconnaît la businesswoman. Céline Lannoye parcourt la planète pour aider sa mère à promouvoir le domaine familial dans les salons internationaux, au Japon, en Chine… A Kedge, cette suractivité interpelle. « Moi, je ne vois pas pourquoi il faut attendre. 20 ans, c’est un âge où on a tout à vivre. J’en ai bien profité. »

Diplôme en poche, « j’avais envie de prendre mes décisions, de pouvoir me tromper ». Exit le château maternel, Céline intègre La Cave du Marmandais, un vignoble en perte de vitesse. « Il fallait tout rebâtir. Reconstruire la gamme de produits, sensibiliser aux bienfaits du marketing. Cela n’a pas été facile. » Quatre ans après, l’entreprise fait des bénéfices – et ronronne à nouveau. La jeune femme reprend donc la route. « La routine, ce n’est pas possible », dit celle qui n’a pas encore 30 ans. La voilà en quête d’un nouveau challenge ; plutôt compliqué tant qu’à faire. Ce sera le crémant de Bordeaux. A Haux, dans l’entre-deux-mers (terroir au sud-est de Bordeaux, entre Garonne et Dordogne), elle rachète un vignoble avec un associé.

En crémant, tout est à faire : « Bordeaux est un territoire de rouges, de grands crus. » Le domaine du vin pétillant est déjà bien occupé par la Loire et l’Alsace. Et le prosecco italien taille des croupières aux producteurs français grâce à l’efficace marketing du cocktail spritz. Mais elle croit à « l’énorme potentiel de ce terroir pour faire du crémant. L’Afrique, l’Amérique du Nord, le Japon, l’Australie sont des gros consommateurs de bulles ». Projetant sa production sur tous les marchés de la planète. « Elle réveille quelque chose de moribond, mesure son ancien professeur Jacques-Olivier Pesme. C’est un pari sur un marché dynamique. » Céline Lannoye voit déjà ses bulles pétiller, comme elle, sur tous les mérchés de la planète.