Emmanuel Rivière, directeur général de Kantar Public France (anciennement TNS), explique dans un entretien au Monde, les conséquences qu’aurait une liste estampillée « gilets jaunes » lors des élections européennes du 26 mai.

Une liste issue du mouvement des « gilets jaunes » est-elle possible ?

Il y a beaucoup de tentation autour des « gilets jaunes ». Florian Philippot [président des Patriotes] a déposé la marque, le Parti communiste veut les attirer sur sa liste… Or, ce mouvement a intrinsèquement l’envie de se tenir à l’écart de la politique et de toute forme de récupération. Cela paraît également très compliqué d’aboutir à une liste qui représente la nature des « gilets jaunes » sans qu’il y ait de désaccords sur ce qu’elle représente, qui la porte, etc.

Du point de vue du mode de scrutin, les élections européennes s’y prêteraient parfaitement, mais l’aboutissement institutionnel c’est ce que les « gilets jaunes » condamnent : envoyer des députés dans un Parlement européen dont on ne sait pas ce qu’il fait.

Une liste de cette nature mordrait dans quel électorat ?

D’abord sur l’abstention. Cela ramènerait aux urnes beaucoup de personnes qui ne votent plus. Il suffit d’être allé sur les ronds-points pour comprendre qu’il y a beaucoup d’abstentionnistes. Mais le mouvement est soutenu de manière accentuée à mesure que l’on s’éloigne du centre de l’échiquier politique. Cela prendrait donc vraisemblablement des électeurs au Rassemblement national et à la gauche de la gauche. Et cela offrirait à la liste de La République en marche la possibilité de ne pas être trop distancé. Dans ce cas, le scénario où aucune liste ne dépasserait 20 % des suffrages est possible.

La République en marche en serait donc le principal bénéficiaire ?

Oui. Ce serait, d’ailleurs, l’un des paradoxes de cette liste : arranger leur principal adversaire.

A l’étranger, y-a-t-il des mouvements sociaux ou de protestation qui se sont transformés en mouvements politiques ?

Ce qui vient en tête, c’est le Mouvement 5 étoiles en Italie. Podemos, en Espagne, a effectivement transformé les « indignados » en mouvement politique, mais c’était, dès le départ, très structuré et porté par des organisations existantes. Le Mouvement 5 étoiles est davantage l’agrégation de mécontentements à l’égard de toutes formes d’institutions. Mais, en comparaison, il manque aux « gilets jaunes » un leader comme Beppe Grillo, et un organisateur comme Gianroberto Casaleggio.