Au cours d’échanges feutrés, à peine un haussement de voix du président Philippe Bas a signalé aux spectateurs que l’audition d’Alexandre Benalla devant la commission d’enquête du Sénat, lundi 21 janvier, venait d’atteindre un point de blocage. Sans retour. Devant les élus, l’ancien chargé de mission de l’Elysée a tenu sa ligne de défense, en refusant de s’exprimer sur l’attribution de ses passeports diplomatiques, lorsqu’il était encore en service, et sur l’usage qu’il en a fait.

Pendant les quelque deux heures de son échange soutenu avec les élus, Alexandre Benalla a joué au chat et à la souris. Il a répondu quand il l’a souhaité. Et il s’est abrité à d’autres moments derrière sa mise en examen et l’information judiciaire en cours. Ainsi malgré ses rappels des sanctions encourues, la commission a semblé bien désarmée pour faire appliquer à M. Benalla sa promesse initiale de dire « toute la vérité, rien que la vérité ». Restant sur une ligne de crête, ce dernier a argué de la séparation des pouvoirs pour opposer une fin de non-recevoir aux interrogations les plus gênantes, au grand dam de Philippe Bas, qui a pointé à plusieurs reprises la lecture sélective des règles institutionnelles de la part du jeune homme.

« Une connerie de ma part »

Ainsi M. Benalla a-t-il accepté de parler de ses passeports… mais simplement pour affirmer qu’ils n’étaient pas en sa possession lors de la précédente audition devant le Sénat en septembre, conformément à ce qu’il avait affirmé à l’époque, bien qu’il ait voyagé avec au mois d’août. Un détail qui n’en est pas un : la seule chose qui pouvait lui être reprochée dans le cadre de cette commission était un éventuel parjure lors de sa précédente audition.

Pour expliquer cette incongruité, Alexandre Benalla a affirmé qu’il avait gardé ses passeports diplomatiques après son licenciement en juillet, qu’il aurait voyagé avec, avant de les restituer en août à un personnel de l’Elysée. Selon lui, un membre de la présidence lui aurait ensuite rapporté ces passeports début octobre, en même temps que le reste de ses affaires personnelles. L’ancien conseiller a refusé de donner davantage de détails, sur l’identité de la personne qui lui a restitué ces documents, sur les conditions dans lesquelles il les avait obtenus en premier lieu – alors qu’il était suspendu de ses fonctions après ses agissements du 1er-Mai – ou sur leur utilisation.

L’emploi de ces passeports diplomatiques, un document officiel qui permet de voyager plus facilement, est au centre des interrogations depuis la révélation par Médiapart du fait qu’Alexandre Benalla a utilisé le sien pour se rendre au Tchad en décembre, alors même qu’il a été licencié de l’Elysée depuis le mois de juillet.

« Ils m’ont été rendus début octobre, sans courrier les accompagnant ou mention expliquant qu’ils ne pouvaient plus être utilisés », a-t-il expliqué pour justifier les vingt-trois voyages qu’il aurait effectués avec depuis. « C’est une connerie de ma part de les avoir utilisés », a-t-il concédé, précisant au passage qu’il avait tenu informé certains membres de l’Elysée de ses déplacements. Jean-Yves Le Drian, le ministre des affaires étrangères, avait affirmé la semaine dernière ne pas avoir été mis au courant de son déplacement au Tchad, peu de temps avant Emmanuel Macron, mettant en cause l’ambassadeur français sur place qui n’aurait pas jugé utile de transmettre l’information.

Ambiguïté des termes

Interrogé sur les dysfonctionnements au sein de l’Elysée et sur les erreurs commises dans l’ensemble de l’appareil d’Etat, Alexandre Benalla a battu en brèche l’idée qu’il pourrait avoir des moyens de pression sur la présidence. « Je ne détiens aucun secret, je ne fais aucun chantage », a-t-il expliqué, alors que la nature de ses contacts avec Emmanuel Macron et ses proches demeure à ce jour encore floue. Jouant de l’ambiguïté des termes, l’ancien chargé de mission a d’ailleurs laissé entendre qu’il avait gardé des liens avec la présidence, à défaut de se rendre au Château, depuis juillet dernier. Un fonds de commerce pour celui qui tente de se construire une carrière de consultant à l’international, dans laquelle son influence réelle ou supposée joue un rôle majeur.

Si la passe d’arme sur la question des passeports a occupé la quasi-totalité de l’audition, les sénateurs ont commencé en questionnant M. Benalla sur d’éventuelles missions professionnelles dans le domaine de la sécurité ou de la défense, alors qu’il était encore en poste à l’Elysée. Si celui-ci a nié toute activité de ce type, il n’a pas caché qu’il avait continué à entretenir ses réseaux dans ce domaine depuis l’élection de M. Macron. Interrogé sur la nature de ses nouvelles activités et sur d’éventuels conflits d’intérêt, Alexandre Benalla a reconnu une « erreur » dans le fait de ne pas avoir saisi la commission de déontologie de la fonction publique. « Ce serait intéressant de savoir combien de personne l’ont fait à leur départ de l’Elysée depuis plusieurs mandats », a-t-il noté, refusant de s’étendre sur ses activités, dans une de ces non-réponses qui auront marqué cette audition parcellaire.