Agnès Thill, députée LRM de l’Oise, en mai 2017. / CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Comment traiter le « cas Agnès Thill » ? Une nouvelle fois, la question se pose à la majorité et embarrasse les dirigeants de La République en marche (LRM), tant le feuilleton semble récurrent. Opposée à l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, la députée macroniste de l’Oise multiplie, depuis plusieurs mois, les prises de positions polémiques pour exprimer son désaccord avec cette mesure soutenue par Emmanuel Macron durant la campagne. Au point de s’attirer les foudres de plusieurs députés LRM, qui exigent son exclusion du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale, et de certains ministres.

Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a fustigé mardi 22 janvier les paroles « inacceptables et méprisantes » de l’élue. La veille, dans une interview vidéo à Oise Hebdo, celle-ci a comparé « la souffrance des femmes seules » qui souhaitent une PMA à celle des « drogués ». « Ça suffit », a tonné M. Griveaux, soulignant que « ces mots blessent des familles et viennent nourrir tous les préjugés ignobles ».

Interrogée par Le Monde, Agnès Thill ne se montre aucunement impressionnée par la condamnation du porte-parole du gouvernement. « Ce que j’ai fait est une métaphore. C’est courant. Tous ceux qui s’expriment ont eu des métaphores ou des propos maladroits, lui le premier », rétorque-t-elle, en s’étonnant de n’avoir eu « aucune réponse » sur le fond de ses propos. Avant d’affirmer : « Je défie quiconque de montrer que mes propos sont homophobes, islamophobes, xénophobes ou je ne sais quoi. Tout ce dont on m’accuse est faux. »

Déjà plusieurs mises en garde pour ses « excès »

L’élue de l’Oise avait déjà suscité l’indignation la semaine dernière, y compris dans son propre camp, en affirmant à l’occasion de la publication du rapport de la mission parlementaire sur la bioéthique que « l’absence de genre dans le mot parent favorise l’éclosion d’écoles coraniques ». Après cette nouvelle sortie polémique, trente députés LRM – dont Aurélien Taché (Val-d’Oise) ou l’ex-ministre Stéphane Travert (Manche) – ont envoyé un courrier au patron du groupe macroniste à l’Assemblée nationale, Gilles Le Gendre, lundi, pour lui demander une « réponse de fermeté » face à des propos « racistes ».

En novembre, le mouvement, alors dirigé par le patron par intérim du parti, Philippe Grangeon, et M. Le Gendre, avaient déjà adressé une lettre à la députée, la mettant en garde une « dernière » fois « contre les excès » de ses « prises de position publiques », après des propos concernant un supposé « lobby LGBT à l’Assemblée nationale ».

Guillaume Chiche a demandé au groupe de se prononcer sur l’exclusion de sa collègue, dont les propos « viennent nourrir l’islamophobie et l’homophobie »

Le « cas Thill » s’est invité à la réunion de groupe des députés macronistes, mardi matin. L’élu des Deux-Sèvres, Guillaume Chiche, a demandé au groupe de se prononcer sur l’exclusion de sa collègue, dont les propos « viennent nourrir l’islamophobie et l’homophobie ». « Sur la bioéthique, il faut de la fermeté, une ligne rouge à ne pas dépasser », a abondé la députée de l’Essonne, Marie-Pierre Rixain. Mais ces offensives n’ont pas fait l’unanimité. La députée de Dordogne, Jacqueline Dubois, a en effet pris la parole pour défendre Agnès Thill, en jugeant « indispensable » de « préserver la liberté de pensée » au sein du groupe. « Les propos excessifs ou irritants se surmontent par la tolérance, la raison et le débat, non par l’exclusion », a appuyé Sonia Krimi (Manche) sur Twitter.

Pris entre deux feux, M. Le Gendre a annoncé en réunion de groupe que le cas d’Agnès Thill sera examiné jeudi 24 janvier par le bureau du groupe LRM à l’Assemblée. Lors de son intervention, il a pris ses distances avec la députée, en déclarant : ses « propos m’horrifient et m’indignent autant que vous ». Pour autant, le patron des députés macronistes n’entend pas trancher ce cas sensible seul. « Toute décision sera prise en commun entre le mouvement et le groupe », a-t-il précisé. « Gilles Le Gendre ne veut pas pratiquer la police de la pensée, explique son entourage. Le fait de ne pas penser comme la majorité du groupe ne peut être un motif d’exclusion. En revanche, cela peut l’être si le groupe et le parti estiment de manière conjointe que la prise de position d’Agnès Thill est contraire aux valeurs du mouvement. »

La crainte de clivages au sein de LRM

Interrogé à son sujet lundi sur France Inter, M. Le Gendre avait estimé qu’Agnès Thill avait « toujours sa place dans le groupe ». Qu’en sera-t-il jeudi ? Un poids lourd de la majorité parie que l’élue de l’Oise ne sera finalement pas exclue, de peur de « créer un appel d’air et d’ouvrir d’autres fronts » en interne. Dans les rangs macronistes, certains craignent que des élus LRM choisissent, par solidarité avec Agnès Thill, de quitter le groupe si celle-ci était poussée vers la sortie. Un scénario catastrophe pour ce collectif de 307 membres, alors que six élus ont déjà quitté le groupe ces derniers mois : Jean-Michel Clément en avril 2018, Frédérique Dumas en septembre, Paul Molac et François-Michel Lambert en octobre. Sébastien Nadot a été exclu en décembre, après avoir voté contre le projet de budget 2019, tandis que Joachim Son-Forget est lui-même parti après avoir fait polémique sur les réseaux sociaux.

Pas question, dès lors, de laisser la division prospérer en interne autour du cas Agnès Thill. « J’aurai à cœur que cette affaire, qui mérite un traitement sérieux, n’accentue pas les clivages au sein du groupe », a souligné M. Le Gendre, mardi matin.

Au-delà de cette polémique, l’ouverture de la PMA à toutes les femmes reste un projet de l’exécutif. Emmanuel Macron a assuré en novembre 2018 que la loi bioéthique contenant cette mesure serait promulguée « courant 2019 ». La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a précisé, mardi, lors de ses vœux à la presse, que le projet de loi bioéthique serait présenté en conseil des ministres au mois de juin. La semaine dernière, lors d’un débat avec des maires, dans l’Eure, le chef de l’Etat a souhaité que ce soit « un sujet sur lequel la France ne se déchire pas ». Pour l’instant, le risque de déchirure sur ce sujet sensible existe surtout au sein groupe majoritaire à l’Assemblée.