« J’ai l’impression de ne pas être jugé à ma juste valeur. Je ne sais pas expliquer pourquoi, mais j’ai l’impression que je dois prouver encore et toujours. » En novembre 2018, Emiliano Sala – dont l’avion a disparu entre Nantes et Cardiff (Pays de Galles) dans la soirée du lundi 21 janvier – résumait en quelques mots au magazine So Foot l’histoire de sa carrière.

Alors comeilleur buteur de Ligue 1 avec Kylian Mbappé, l’attaquant du FC Nantes (né le 31 octobre 1990) goûte enfin la considération du milieu du football et du public, à 28 ans. L’Argentin enfile les buts (12 en 19 matchs) sans renier son style tout en sueur, abnégation et hargne. « Je mets la tête là où les autres ne mettraient même pas le pied », avance-t-il comme une carte de visite.

A Nantes, Sala était devenu un « actif », lui qui a longtemps été raillé pour sa technique brute de décoffrage et son allure dégingandée (1,87 m) depuis son arrivée, en 2015. Pour s’attacher ses services, Cardiff (18e de Premier League) a mis entre 17 et 20 millions d’euros dans la balance.

Un record pour le club gallois et une aubaine pour Waldemar Kita. Le président et propriétaire du FC Nantes a tout fait pour faciliter ce transfert presque inespéré pour un joueur acheté 1 million d’euros à Bordeaux et en fin de contrat dans un an et demi.

Dans un premier temps, le principal intéressé était peu emballé par un déménagement dans la capitale galloise. Il espérait mieux, se voyait plutôt en Espagne la saison prochaine. Au moment de signer son contrat, samedi 19 janvier à Cardiff, Sala se disait toutefois « très heureux d’être là », lui qui n’avait même pas pris la peine de prendre en considération la première offre de son nouveau club.

Waldemar Kita a fini par trouver les arguments, financiers surtout avec un salaire passant de 50 000 à 300 000 euros, selon une information de 20 Minutes.

Halilhodzic remonté contre son départ

Ce transfert (dont la moitié de la somme revient à Bordeaux au titre de club formateur) avait provoqué le premier coup de gueule de Vahid Halilhodzic depuis son arrivée à Nantes le 2 octobre. « Si ça avait été un autre club, je serais parti, c’est clair, net et sincère », lâchait l’entraîneur bosnien samedi après la défaite à Angers en championnat (1-0). Les sentiments pour le club dont il a été l’attaquant vedette dans les années 1980 l’auraient dissuadé de claquer la porte.

Avec Sala, « Coach Vahid » avait trouvé son buteur. A défaut d’avoir sa classe sur un terrain, l’Argentin lui plaisait par son abnégation et son profil anachronique. « C’est un attaquant comme on en voit très peu aujourd’hui », résumait le technicien.

Depuis ses débuts dans son village de Progreso (province de Santa Fe), Emiliano Sala a toujours joué et vécu par le but. Du genou, de l’oreille ou en taclant, l’Argentin sacrifie l’esthétique à l’efficacité. Mais dans un football moderne où le moule de l’avant-centre buteur exclusif s’est cassé, son profil intéresse peu. Même chez lui à Progreso, son talent ne saute pas aux yeux de ses entraîneurs. A 15 ans, il rejoint le centre de formation de San Francisco à Cordoba, tout juste lié aux Girondins de Bordeaux par un contrat d’exclusivité.

Les Argentins envoient leurs meilleurs éléments tenter leur chance sur les bords de la Garonne. Sala est recalé chaque année. A 19 ans, il pense privilégier ses études mais effectue un dernier test à Bordeaux. L’Argentin tape enfin dans l’œil des recruteurs. L’obstination lui ouvre les portes d’une carrière européenne.

« Je me sens bien si je cours »

Mais en Gironde, Emiliano Sala goûte surtout au banc de touche et à l’équipe réserve. Il débute son petit tour de France. Prêté successivement à Orléans (National) et Niort (Ligue 2) – avec à chaque fois 18 buts en 37 matchs de championnat à la clé – puis à Caen (Ligue 1) entre 2012 et 2015, l’Argentin impose son style tout en générosité.

Ses entraîneurs lui conseillent de moins courir pour gagner en lucidité, mais lui est malheureux et moins efficace quand il n’avale pas les kilomètres. « Je cours beaucoup. On peut penser que, du coup, je suis moins lucide devant le but, mais c’est mon jeu, plaide-t-il. Je me sens bien si je cours, si je touche beaucoup de ballons. »

A Nantes, la greffe ne prend pas tout de suite. Encore une fois, Sala doit lutter, mais après une première saison de transition (6 buts en 2015/2016), il s’installe comme le buteur providentiel d’une équipe qui peine à faire trembler les filets adverses avec deux saisons à 12 réalisations. Le public de la Beaujoire finit par adopter ce garçon discret, travailleur et peu attiré par les médias.

Avec l’arrivée de Vahid Halilhodzic, l’Argentin franchit un cap. Oublié le football construit autour de la possession du ballon de son éphémère prédécesseur, le Portugais Miguel Cardoso, le Bosnien mise sur un jeu direct taillé pour Sala, doté d’un excellent jeu de tête et en pleine confiance.

En Argentine, le nom de celui qui a longtemps été un parfait inconnu commençait à revenir avec insistance pour intégrer la sélection nationale.

Lundi, Emiliano Sala était revenu à la Jonelière, le centre d’entraînement du FC Nantes, prendre ses dernières affaires et faire ses adieux à ses coéquipiers. L’un d’eux, le défenseur Nicolas Pallois, l’a ensuite conduit à l’aéroport où l’attendait un avion de tourisme.

La nouvelle recrue de Cardiff était attendue lundi à 21 heures au Pays de Galles. Dans la soirée, son avion disparaissait au nord de l’île de Guernesey.