Editorial du « Monde ». Si le ridicule tuait, il y aurait aujourd’hui deux morts sur la scène politique française, qui plus est deux candidats à l’élection présidentielle de 2017 : Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan. Heureusement pour eux, malheureusement pour la santé mentale du pays, le ridicule se porte à merveille en ces temps de complotisme galopant, de contrevérités triomphantes et de « fake news » proliférantes.

A les entendre, en effet, ce mardi 22 janvier à Aix-la-Chapelle sera un jour de honte pour la France. Et pour cause : le président de la République va signer avec la chancelière Angela Merkel un traité franco-allemand qui non seulement aurait été sournoisement caché au bon peuple, mais qui, surtout, conduirait tout bonnement à vendre l’Alsace et la Lorraine à l’Allemagne, à partager avec cette dernière le siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, voire notre puissance nucléaire.

Cynisme confondant

Ces élucubrations ont été assénées avec la gravité qui s’impose par la présidente du Rassemblement national et par le président de Debout la France !. Lors de son premier meeting de campagne pour les européennes, le 19 janvier, dans le Vaucluse, Marine Le Pen l’a martelé : le chef de l’Etat est en train de commettre un « acte de trahison » en signant « en catimini » ce traité conduisant à la « mise sous tutelle de l’Alsace », au « partage de notre arme nucléaire et de notre siège au Conseil de sécurité ».

Quant à Nicolas Dupont-Aignan, il a assuré que ce traité « organise la soumission de la politique étrangère de la France à l’Allemagne » et prépare « des lois franco-allemandes sur une partie de notre territoire ».

Tout cela est faux. Emmanuel Macron avait annoncé, dès son discours de la Sorbonne, en septembre 2017, son souhait de voir le traité de l’Elysée, conclu entre le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, en 1963, complété et renforcé. Notons au passage que, de l’avis général, le nouveau traité d’Aix-la-Chapelle est nettement moins ambitieux que l’espérait le président français.

Le sort de l’Alsace et de la Lorraine n’est pas menacé, au contraire, par la volonté de développer des « projets transfontraliers » dans les domaines économiques et sociaux et, précise le traité, « dans le respect des règles constitutionnelles respectives des deux Etats ». De même, « le développement de l’apprentissage mutuel de la langue de l’autre » est d’une absolue banalité depuis le traité franco-allemand de 1963. Quant au partage du siège de la France à l’ONU, c’est, là encore, une « intox » totale : en prônant « l’admission de l’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité », dont elle sait qu’il suppose une improbable réforme de l’ONU, la France s’emploie, au contraire, bien loin de le partager, à protéger son statut de membre permanent.

Au prix d’un cynisme confondant, les deux dirigeants d’extrême droite se posent en valeureux défenseurs de la souveraineté nationale. lls ne font, en réalité, que se ridiculiser et la France avec eux.