A la Fashion Week de Dar es-Salaam, en Tanzanie, en décembre 2017. / DANIEL HAYDUK / AFP

Tribune. Comme chaque samedi, depuis son stand situé à l’entrée du Maasai Market, à Nairobi, Tom observe l’arrivée des bus touristiques. L’un d’eux est rempli de Chinois ; l’artisan fronce les sourcils. Appareil photo autour du cou, smartphone au bout d’une perche, cachée sous ses lunettes de soleil et son chapeau estival, une jeune femme s’approche pour se prendre en photo. Suspendus derrière Tom : les bijoux en bronze africain qu’il crée, ainsi que ceux, en perles, de son voisin et ami Peter. La jeune femme se retourne pour demander le prix d’un bijou, avant de s’en aller sans dire un mot.

« C’est comme ça qu’ils nous volent nos designs, s’exclame Tom. Ils viennent, se font passer pour des touristes, prennent des photos sans notre autorisation. Dans le meilleur des cas, ils nous achètent quelques bijoux, et parfois nous ne pouvons même pas refuser de leur vendre parce que nous n’arrivons pas à atteindre nos objectifs quotidiens. »

Depuis les accords de construction d’infrastructures signés entre la Chine et le Kenya, il n’est pas rare de voir des Chinois se promener dans les marchés du centre de la capitale. Mais dernièrement, les artisans ont vu s’ouvrir des magasins généralistes dirigés par des Chinois non loin du Maasai Market. On peut y trouver des chargeurs, mais aussi des imitations de bijoux traditionnels africains, majoritairement en perles.

« Espionnage »

« Il y a quelques mois, une Chinoise m’a acheté une dizaine de bijoux, poursuit Tom. Je pensais que c’était une touriste, je lui ai fait un bon prix et je lui ai même donné un cadeau. Quelques semaines plus tard, elle a ouvert un magasin au coin de la rue et j’y ai retrouvé quelques-unes de mes créations. Alors pour faire face à cet espionnage et être sûr de garder ma clientèle, je dois renouveler mes collections plus souvent. »

Ces bijoux similaires aux bijoux africains seraient fabriqués en Chine, importés et vendus au Kenya à des prix de 15 à 30 % inférieurs à ceux pratiqués par les artisans. Inquiet, Tom me confie : « Je crains que cela soit pire dans les années à venir, à cause de l’arrivée massive des Chinois pour les projets de construction en cours. Malgré nos récentes manifestations, les autorités n’ont fait aucun effort pour comprendre à quel point cela affecte nos affaires. »

Il y a deux ans, ce qui m’avait conduite à lancer la marque de bijoux Ikhaya Mossy, c’était le manque de reconnaissance, sur le plan international, des artisans africains. Ce projet m’a permis de découvrir des hommes et des femmes talentueux, qui se battent pour vivre de leur art et pour continuer de faire vivre leur culture. Alors quand les artisans me racontent de telles pratiques, cela m’inquiète d’autant plus que je constate que ce phénomène ne se limite pas au Kenya.

Bijoux plastifiés

En Afrique du Sud, les périphéries urbaines du Cap voient s’implanter, depuis quelques années, des grandes surfaces chinoises. On y vend de l’électronique, des perles brutes qu’utilisent les Sud-Africaines pour confectionner leurs bijoux, mais aussi des bijoux traditionnels sud-africains et kényans plastifiés. La première fois que j’ai vu ces bijoux, en mars 2018, j’ai pensé qu’il s’agissait de partenariats entre les artisans et les boutiques chinoises. A première vue, ces bijoux africains « made in China » sont très ressemblants, mais au toucher, ils sont beaucoup plus légers et fragiles que ceux fabriqués par les artisans locaux.

J’ai fait part de ce constat à Mama Mamdima, créatrice de bijoux zoulou, qui a réagi ainsi :
« On a l’habitude d’acheter nos matières premières [perles, fils, aiguilles, etc.] dans ces enseignes chinoises, mais il faut croire que ça ne leur suffit pas. Aujourd’hui, ils essaient de nous concurrencer sur nos propres bijoux. Mais notre art, notre culture et la signification derrière nos bijoux, ça, ils ne pourront jamais le copier, car ça nous est propre. Mais c’est sûr qu’ils représentent une menace sérieuse pour notre business. » Une bien triste réalité quand on sait que l’artisanat est le deuxième employeur du continent après l’agriculture.

Aminata Ndiaye, entrepreneuse engagée dans le développement inclusif de l’Afrique, est la fondatrice de la bijouterie en ligne Ikhaya Mossy.