Une jeune Ougandaise naviguant sur l’application de messagerie instantanée WhatsApp, à Kampala, en juillet 2018. / ISAAC KASAMANI / AFP

Chronique. Pris dans les filets de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, les champions chinois des télécoms et des nouvelles technologies jettent leur dévolu sur l’Afrique. Mais doit-on faire confiance à des entreprises forcément très liées aux intérêts de Pékin ?

« Le pire est à venir », a lancé cette semaine le patron de Huawei dans un message adressé à ses 180 000 salariés. Le numéro un chinois des télécoms est devenu un paria dans la plupart des pays occidentaux. Les Etats-Unis ont lancé la charge contre le groupe de Shenzhen, l’accusant d’espionnage et d’intelligence avec l’Iran. Les uns après les autres, les pays alliés des Etats-Unis se détournent des solutions du Chinois, notamment dans le déploiement de la 5G, nouvelle martingale du monde des télécoms.

L’Apple chinois

Avoir aujourd’hui entre les mains un téléphone portable chinois reviendrait forcément à être écouté par les grandes oreilles de Pékin, assurent les services américains toujours prompts à dégainer contre leur grand rival asiatique. La vice-présidente de Huawei attend son procès au Canada, ZTE ne peut plus commercer aux Etats-Unis… N’en jetez plus. Dans ce contexte extrêmement tendu, la stratégie chinoise consiste à frapper à la porte de ses alliés et l’Afrique en fait partie.

Hasard du calendrier, 2019 marque l’arrivée d’un groupe chinois important sur le continent : Xiaomi. Surnommé l’Apple chinois pour sa capacité à créer des objets connectés innovants, le groupe de Pékin est le quatrième constructeur mondial de téléphones portables. Il vient de nommer cette semaine l’un de ses vice-présidents, Wang Lingming, au poste de directeur du département Afrique. Le groupe, qui vend désormais dans quatre pays du continent (Afrique du Sud, Botswana, Nigeria et Malawi), s’étendra progressivement à l’ensemble de l’Afrique.

Son principal concurrent n’est autre qu’une autre entreprise chinoise, Transsion Holdings, qui vend ses téléphones en Afrique depuis dix ans déjà sous plusieurs marques locales. En 2011, Transsion ouvrait sa première usine en Ethiopie et ses ventes ont dépassé celles du numéro un mondial Samsung sur le continent en 2017.

Dans une vingtaine de pays africains

Pour Huawei aussi, les portes de l’Afrique sont désormais grandes ouvertes. Le groupe de Shenzhen détient déjà 15 % du marché du téléphone portable sur le continent et est très engagé dans le déploiement des réseaux télécoms dans une vingtaine de pays africains. Huawei est également à l’initiative du projet Peace (Pakistan East Africa Cable Express), un câble sous-marin de télécommunications reliant l’Asie et l’Afrique. Reste à savoir si ce marché africain peut à lui seul compenser la perte des marchés occidentaux.

Avec 1,2 milliard d’habitants et encore peu de téléphones portables en circulation, le continent est un eldorado. Le cabinet Deloitte estime à 660 millions le nombre d’Africains qui seront équipés d’un portable d’ici à 2020, soit quasiment un habitant sur deux.

Alors une nouvelle fois, l’Afrique apparaît comme un terrain d’expression des ambitions chinoises et occidentales. Des pays comme la Zambie sont déjà entièrement dépendants des solutions digitales chinoises. Huawei y a construit un gigantesque centre de stockage de données informatiques et ZTE y écoule ses téléphones interdits aux Etats-Unis. A Maurice, Huawei a installé quatre mille caméras de surveillance connectées et un réseau équivalent se déploie au Zimbabwe. La Chine est donc à la manœuvre dans cette grande révolution digitale qui passe par la convergence des réseaux télécoms, Internet, la télévision numérique et la surveillance électronique.

Respect de la vie privée

Comment vont être traitées les données collectées par les entreprises chinoises ? L’Afrique reste très en retard en matière de régulation dans ce domaine et il est important, voire essentiel, pour les citoyens de chaque pays africain concerné d’être informé de l’usage qui peut être fait de ses traces numériques. Or, en Chine, où le respect de la vie privée se place très loin derrière les intérêts du Parti communiste, le débat n’a pas eu lieu. Mais, en Afrique, où la vie démocratique peut et doit encore s’exprimer, cela doit être un sujet de débat.

Dans son grand dessein des « nouvelles routes de la soie », la Chine a en effet prévu un volet numérique, avec un budget de 79 milliards de dollars (69 milliards d’euros), afin de permettre aux entreprises chinoises de prendre la tête de la révolution digitale mondiale. L’Afrique en est à coup sûr déjà le principal récipiendaire.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la Chinafrique et les économies émergentes.