Touché, mais pas coulé. Après trente-trois jours de « shutdown », la paralysie politique à Washington a contraint Donald Trump à concéder une première défaite, face à Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants. A l’issue d’un échange de courriers et de Tweet, mercredi 23 janvier, le président a accepté de reporter sine die son discours sur l’état de l’Union.

  • Message annuel devant la Chambre

« Message annuel », « message sur l’état de l’Union », « discours sur l’état de l’Union »… depuis celui prononcé par George Washington, le 8 janvier 1790, le discours sur l’état de l’Union est un exercice obligé. Il permet au président d’expliquer aux élus du Congrès, puis – depuis l’avènement de la radio, de la télévision et d’Internet –, aux Américains ses priorités pour l’année qui commence. Il trouve son fondement dans l’article II, section III, clause 1 de la Constitution, qui prévoit que :

« Le président informera le Congrès, de temps à autre, de l’état de l’Union, et recommandera à son attention telles mesures qu’il estimera nécessaires et expédientes. »

Après la ratification du XXe amendement, le 23 janvier 1933, la Constitution des Etats-Unis établit le début et la fin des mandats du président et du vice-président, le « vingtième jour de janvier à midi », et celui des sénateurs et des représentants, « le troisième jour de janvier ». Avec cet amendement, la date du discours change. Entre 1790 et 1933, il est prononcé ou lu en octobre, novembre ou… décembre. Depuis 1934, il est prononcé en janvier ou février, mais dans les faits, rien n’est gravé dans le marbre de la Constitution. La dernière fois que le discours sur l’état de l’Union a été prononcé en février, c’était après l’explosion au décollage de la navette Challenger, le 28 janvier 1986.

  • Remis en cause par le « shutdown »

La tradition veut que ce soit le leader de la Chambre basse qui invite le président à prononcer ce discours à la Chambre des représentants. C’est la seule salle du Capitole assez vaste pour accueillir autant d’élus (435 + 100), d’invités et d’équipes de télévision, écrit le New York Times.

Dans une lettre envoyée mercredi 23 janvier à Nancy Pelosi, Donald Trump a affirmé qu’il n’y avait « aucun problème concernant la sécurité » autour du discours, et qu’il voulait le prononcer comme il avait été initialement prévu, le 29 janvier. « Il serait vraiment très triste pour notre pays que le discours sur l’état de l’Union ne soit prononcé à temps, dans les délais et, surtout, sur place ! », écrivait-il.

Il répondait au courrier du 16 janvier de Mme Pelosi : face à l’impasse autour du « shutdown », elle lui demandait de repousser son discours, ou lui suggérait de le « transmettre par écrit », mettant en avant l’argument sécuritaire, relevant que les employés chargés de la sécurité des personnalités, comme le président, et d’événements, comme le discours sur l’état de l’Union, sont directement touchés.

Le mur que Donald Trump veut ériger à la frontière avec le Mexique pour lutter contre l’immigration clandestine est au cœur du conflit budgétaire du « shutdown » entre les démocrates et le président. Ce dernier réclame quelque 5,7 milliards de dollars (5 milliards d’euros) pour sa construction, alors que les premiers s’en tiennent au texte approuvé avant le « shutdown », qui prévoit un financement de 1,3 milliard de dollars.

  • Invitation repoussée, discours abandonné

Les échanges entre Nancy Pelosi et Donald Trump avaient pourtant commencé de manière civile : le 3 janvier, redevenue présidente de la Chambre des représentants (elle l’a été entre 2007 et 2011), Nancy Pelosi fait partir l’invitation. « J’ai invité Donald Trump à prononcer son discours sur l’état de l’Union devant une session conjointe du Congrès le mardi 29 janvier 2019 », écrit-elle sur Twitter. Le 16 janvier, elle la retire finalement : il n’y aura pas de discours tant que durera le « shutdown ».

Dans un Tweet tardif, mercredi 23 janvier au soir, le président a fini par abandonner l’idée d’un passage en force pour son discours :

« Je ferai le discours quand le shutdown sera fini. Je ne recherche pas d’autre enceinte pour le discours sur l’état de l’Union parce qu’il n’y en a aucune qui puisse rivaliser avec l’histoire, la tradition et l’importance de la Chambre des représentants. »

Mais, fidèle à son habitude des messages sibyllins, il ajoute dans un second Tweet que ce « grand » discours sera prononcé « dans un futur proche ».

Nancy Pelosi lui répond du tac-au-tac sur Twitter : « M. le président, j’espère qu’en disant futur proche, vous entendez là que vous soutiendrez le texte soutenu par la Chambre pour mettre fin au shutdown, sur lequel votera le Sénat demain [jeudi]. »

  • L’initiative revient à la présidente de la Chambre

Habitué à tester les limites, le président Trump s’est heurté à la prérogative de la présidente de la Chambre. Qu’importe si Kevin McCarthy, le leader des républicains à la Chambre, a publié une vidéo sur Twitter dans laquelle il invite le président à s’exprimer devant les représentants.

C’est bien à Nancy Pelosi qu’il revient de présenter à la Chambre le texte fixant la date et l’heure à laquelle le président est invité à délivrer son discours. Ce texte doit être adopté par les deux chambres pour que le Congrès se réunisse et écoute le discours, rappelle Roll Call, le site du journal spécialisé dans la couverture de l’actualité politique du Congrès des Etats-Unis.

Donald Trump a dû remiser son idée de prononcer le discours « ailleurs » que devant la Chambre des représentants, comme il en a été question. / BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

Donald Trump a dû remiser son idée de prononcer le discours « ailleurs » que devant la Chambre, comme il en a été question. La date de l’édition 2019 du discours reste encore à fixer, par Nancy Pelosi, qui relancera l’invitation lorsque le « shutdown » prendra fin. Le Sénat devrait voter, jeudi, sur deux textes concurrents pour tenter de sortir du blocage budgétaire. Mais ni Donald Trump ni les démocrates ne semblent prêts à céder.

En attendant, environ 800 000 employés fédéraux sont toujours au chômage forcé ou travaillent sans solde. Selon un sondage AP-National Opinion Research Center de l’université de Chicago, 65 % des Américains estiment que le « shutdown » constitue un « problème majeur », 60 % en rejettent la responsabilité sur le président Trump, 36 % sur les élus républicains au Congrès et 31 % sur les élus démocrates.