Des opposants au président Nicolas Maduro, à Caracas, le 23 janvier. / ADRIANA LOUREIRO / REUTERS

En se proclamant chef de l’Etat par intérim le mercredi 23 janvier, le président du Parlement vénézuélien, Juan Guaido, plonge le pays dans une crise sans pareille dans son histoire récente. Cette annonce signe également l’apogée d’un mouvement d’opposition aux racines anciennes et multiples contre le régime du président Nicolas Maduro, arrivé au pouvoir en 2013, après la mort de son prédécesseur, Hugo Chavez.

Depuis l’accession au pouvoir de Nicolas Maduro, dont la popularité n’a cessé de baisser, le pays traverse une crise économique, politique et sociale, permettant à l’opposition de gagner du terrain. Retour sur les événements récents qui ont précipité sa chute.

  • 4 janvier. Quatorze pays refusent de reconnaître le mandat de Nicolas Maduro

Réélu président du Venezuela en mai 2018, à l’issue d’un scrutin contesté, Nicolas Maduro devait prêter serment le 10 janvier. Dès le 4, les Etats du Groupe de Lima, constitué du Canada et de treize pays d’Amérique latine, ont annoncé qu’ils ne reconnaîtraient pas ce second mandat, le considérant comme « illégitime ». Plusieurs pays, dont les Etats-Unis, avaient soutenu cette prise de position, arguant notamment que les principaux partis d’opposition avaient boycotté ce scrutin, marqué par une forte abstention.

Le Groupe de Lima, créé en 2017, au moment où le Venezuela était secoué par de violentes manifestations qui ont fait près de deux cents morts, avait également demandé au chef de l’Etat de transférer ses pouvoirs à l’Assemblée nationale, seule institution contrôlée par l’opposition.

  • 5 janvier. Le Parlement déclare M. Maduro « illégitime »

Le lendemain, le nouveau président du Parlement, Juan Guaido, avait justement organisé un vote contre le nouveau mandat du président. L’Assemblée avait alors jugé « illégitime » le deuxième mandat de Nicolas Maduro, accusé par ses détracteurs de mener une gestion économique erratique et d’être un dictateur accaparant tous les pouvoirs.

Ce vote n’avait toutefois qu’une portée symbolique : depuis début 2016, la Cour suprême, réputée proche de l’exécutif, a déclaré nulles toutes les décisions adoptées par le Parlement.

Le président vénézuélien Nicolas Maduro, lors des commémoration de la fin de la dictature de Marcos Perez Jimenez, à Caracas, le 23 janvier. / HANDOUT / REUTERS

  • 10 janvier. Début d’un mandat entaché d’accusations

Le président vénézuélien a donc prêté serment, jeudi 10 janvier, pour un second mandat de six ans teinté d’illégitimité, faisant présager un plus grand isolement sur la scène internationale. Nicolas Maduro a prêté serment devant la Cour suprême et non devant l’Assemblée nationale, seule institution contrôlée par l’opposition et que l’exécutif ne reconnaît pas.

Alors que la Chine, la Turquie et la Russie avaient envoyé des délégués à Caracas pour la cérémonie d’investiture, ni les Etats-Unis ni l’Union européenne n’étaient représentés. Dans le même temps, l’ONG américaine Human Rights Watch et son équivalence vénézuélienne Foro Penal ont publié un rapport dans lequel elles dénoncent le fait que des dizaines de militaires vénézuéliens, accusés de conspirer contre le gouvernement, ont été arrêtés et torturés ces dernières années.

  • 21 janvier. Appel à la rébellion

Le 21 janvier, un groupe d’hommes en uniforme se présentant comme faisant partie de la garde nationale bolivarienne s’empare d’armes dans un poste militaire de Petare (à l’est de Caracas) et se retranche dans une caserne de Cotiza (au nord de la capitale).

Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, ils déclarent ne pas reconnaître Nicolas Maduro comme président et appellent la population à descendre dans la rue. Quelques heures plus tard, l’armée annonce que vingt-sept mutins ont été arrêtés.

Des forces de l’ordre, dans la région de Tachira, au Venezuela, le 23 janvier 2019. / CARLOS EDUARDO RAMIREZ / REUTERS

Des émeutes éclatent dans plusieurs quartiers populaires de Caracas en soutien aux rebelles, rapporte plus tard l’Observatoire vénézuélien des conflits sociaux (OVCS), une organisation d’opposition. Le même jour, la Cour suprême déclare illégitime la direction du Parlement, dont une assemblée constituante entièrement chaviste élue mi-2017 s’est arrogé l’essentiel des pouvoirs.

  • 22 janvier. Washington soutient l’opposition

Le vice-président américain, Mike Pence, affiche, le 22 janvier, sa solidarité avec une manifestation prévue le lendemain au Venezuela à l’appel de l’opposition pour exiger un gouvernement de transition et l’organisation d’élections libres.

« Au moment où le bon peuple du Venezuela fera entendre sa voix demain, au nom du peuple américain nous disons : estamos con ustedes, nous sommes avec vous », lance M. Pence dans une vidéo sur Twitter. Dans une allocution radiotélévisée, Nicolas Maduro accuse les Etats-Unis d’avoir ordonné « un coup d’Etat fasciste ».

  • 23 janvier. Manifestations dans tout le pays…

Opposants et partisans du président Maduro descendent en masse dans tout le pays, pour ce jour anniversaire de la chute de la dictature de Marcos Pérez Jimenez en 1958, dans un climat explosif. A Caracas, ils sont des dizaines de milliers. Des heurts éclatent. L’OVCS rapporte que les troubles ont fait treize morts en deux jours.

La Cour suprême annonce une enquête pénale contre les membres du Parlement en les accusant d’usurper les prérogatives du président Maduro.

  • … M. Guaido s’autoproclame président

Juan Guaido, le président du Parlement, s’autoproclame le même jour « président en exercice » du pays devant ses partisans rassemblés à Caracas.

« Je jure d’assumer formellement les compétences de l’exécutif national comme président en exercice du Venezuela pour parvenir (…) à un gouvernement de transition et obtenir des élections libres », lance-t-il.

Le président de l’Assemblée nationale vénézuelienne, Juan Guaido, salue ses partisans rassemblés à Caracas, le 23 janvier. / CARLOS GARCIA RAWLINS / REUTERS

Aussitôt, le président américain Donald Trumap annonce qu’il reconnaît Juan Guaido comme président par intérim. La Colombie, le Brésil, le Pérou, le Canada, le Chili et plusieurs autres pays latino-américains font de même. L’Union européenne appelle à écouter la « voix » du peuple du Venezuela et réclame des élections « libres et crédibles ». Le président français, Emmanuel Macron, a salué jeudi dans un Tweet « le courage des centaines de milliers de Vénézuéliens qui marchent pour leur liberté » face à « l’élection illégitime de Nicolas Maduro » et assuré que l’Europe soutenait « la restauration de la démocratie ».

A l’inverse, le Mexique, la Bolivie, Cuba et la Turquie maintiennent leur soutien à Nicolas Maduro.

M. Maduro annonce dans la foulée la rupture des relations diplomatiques avec les Etats-Unis et donne soixante-douze heures aux représentants américains pour quitter le pays. Le département d’Etat américain fait savoir qu’il ne reconnaît pas à M. Maduro l’autorité pour ordonner cette rupture.

  • 24 janvier. Face à une communauté internationale divisée, Maduro compte sur son armée

Le gouvernement de M. Maduro a fait savoir que le ministre de la défense, le général Vladimir Padrino Lopez, et les commandants militaires régionaux allaient apporter leur appui « au président constitutionnel » et à « la sauvegarde de la souveraineté » du pays. Le gouvernement compte également sur la Cour suprême, qui doit se réunir jeudi.

La communauté internationale s’inquiète de la situation. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a demandé un « dialogue » pour empêcher une « escalade menant à un conflit qui serait un désastre pour la population du pays et pour la région ».

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