La carrière olympique de Gévrise Emane s’était achevée par une défaite au premier tour des Jeux de Rio, en 2016. / JACK GUEZ / AFP

« Replacer les sportifs au centre de l’antidopage. » Le chemin sera long pour la présidente de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), Dominique Laurent, qui présentait jeudi 24 février le nouveau « comité des sportifs » de l’instance.

Présidé par l’escrimeuse Astrid Guyart et l’ancien spécialiste du tir à l’arc Romain Girouille, cet organe consultatif effectuera des missions de formation des sportifs et fera remonter à l’AFLD les demandes de ces derniers, notamment concernant les obligations de localisation. Un impératif contraignant, pour les besoins de l’efficacité de la lutte antidopage, qui a contribué à installer une relation de défiance entre les instances et les athlètes, comme l’explique la triple championne du monde de judo Gévrise Emane.

La composition du « comité des sportifs » de l’AFLD

Co-présidents : Astrid Guyart (escrime) et Romain Girouille (tir à l’arc)

Membres : Daniel Narcisse (handball), Samir Aït Said (gymnastique), Gévrise Emane (judo), Sandra Laoura (ski acrobatique), Nathalie Péchalat (patinage artistique), David Smetanine (paranatation), Nantenin Keïta (athlète handisport).

Tous les sportifs de ce comité semblent insister sur le besoin de formation des athlètes concernant l’obligation de déclarer à l’avance sa localisation, sur une période d’une heure par jour. Comment cet impératif est-il perçu par les sportifs ?

Lorsque vous avez été sportif de haut niveau et avez fait partie d’un groupe cible [liste des sportifs obligés de se localiser], la localisation est quelque chose de pesant. Parce que ça demande du temps, que c’est assez contraignant et que vous vous interrogez tout le temps sur l’utilité de signaler en permanence où vous êtes et ce que vous faites à telle heure.

Si cela n’est pas bien rempli, vous vous exposez à des sanctions [un à deux ans de suspension pour trois manquements sur une période de douze mois]. C’est assez effrayant.

La première chose à laquelle vous pensez quand on vous dit : « Lutte antidopage », c’est : « localisation ». Même quand on est un sportif confirmé, les derniers exemples nous l’ont montré, on échappe parfois à ses obligations de localisation et cela peut conduire à des drames [le champion olympique de boxe Tony Yoka est actuellement suspendu un an pour ces raisons].

Pour vous, le système de localisation « Adams » (Anti-Doping Administration & Management System – Système de gestion et d’administration antidopage) est synonyme de peur ?

Cela peut être anxiogène pour certains. Quand on est en pleine bourre, qu’on ne pense qu’à sa performance, on se dit : « Mais pourquoi ils me cassent la tête avec ça ? » J’aimerais que les athlètes n’aient plus cette appréhension, et leur dire qu’il ne faut pas se braquer face à ce système de localisation, même si des améliorations peuvent être apportées. Les convaincre qu’il existe pour protéger les sportifs propres.

Comment gérez-vous cette contrainte ?

Lorsqu’on intègre le groupe cible, en début de saison, un membre de la direction technique nationale nous explique comment se localiser. Après, il y a un rappel juste avant les Jeux olympiques. Si on n’arrive pas à remplir cette obligation, on peut demander conseil auprès des entraîneurs, qui s’assurent que tout soit calé.

Il n’y a pas de prévention par ailleurs ?

En même temps que l’on nous explique le système de localisation, on nous donne aussi la liste des produits interdits. On nous dit de ne pas prendre de produit sans contrôle médical. J’ai toujours eu des entraîneurs qui nous prévenaient et à l’Insep [Institut national du sport, de l’expertise et de la performance], les médecins nous alertent. Mais tous les sportifs ne sont pas à l’Insep et certains ne voient pas en permanence des médecins du sport.

C’est là que notre rôle de prévention et d’information sera important. La fameuse liste des produits interdits change chaque année, s’élargit, et n’est pas facile à comprendre. Donc le premier réflexe doit être de consulter le médecin de l’équipe de France à laquelle on appartient. C’est la meilleure garantie.

La lutte antidopage, la considérez-vous comme une alliée ou une adversaire ?

Je l’ai prise comme une alliée et comme une obligation : j’ai des droits d’athlète, mais aussi des devoirs. Si je suis contrôlée, j’espère bien que mes adversaires vivent la même chose, et alors elle devient une alliée. Il faut arrêter avec ce sentiment de persécution et prendre la lutte antidopage comme un outil qui fait partie de la performance.

Nous aimerions en revanche pouvoir alerter l’AFLD sur les moments où les athlètes sont plus ou moins disposés à être contrôlés. Par exemple, quand vous faites un sport de combat et que vous êtes au régime à trois jours de la compétition, que vous avez du mal à perdre du poids, boire des litres d’eau pour uriner lors d’un contrôle peut être dérangeant.

L’objectif, c’est de réconcilier les sportifs avec la lutte antidopage ?

C’est ma deuxième motivation en intégrant ce comité. Quand on est sportif, l’AFLD paraît lointaine, c’est une nébuleuse qui ne donne que des sanctions et n’en a rien à faire des sportifs. En réalité, ce n’est pas le cas.

L’une des motivations, c’est de changer le regard qu’a le sportif sur l’AFLD et le convaincre qu’elle est dans notre camp, puisque son rôle est de protéger les sportifs propres. Les autres, tant pis pour eux. Donc, oui, il faut changer l’image de cette entité.