« Cette crise des “gilets jaunes”, ça m’a reboosté ! » Adhérent de la première heure à En marche ! après un « coup de foudre » pour Emmanuel Macron, Jean-François Jactel le reconnaît volontiers : il avait commencé à « lâcher » le chef de l’Etat ces derniers temps. Ce retraité de 70 ans n’avait pas compris certaines mesures, comme la limitation de la vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires ou les « atermoiements » de l’exécutif sur la suppression de la taxe d’habitation.

Oui mais voilà, les « gilets jaunes » ont fait irruption sur les ronds-points et dans le débat public. Leurs « discours qui penchent plutôt vers l’extrême droite », leur « violence » et leurs propos « insultants » contre le chef de l’Etat ont fini par raffermir son élan initial : « Tout ça a renforcé mon soutien envers Emmanuel Macron », explique le retraité, en cette journée enneigée de fin janvier dans la salle communale du village de Belleray (Meuse), 500 habitants, sous le portrait officiel du président de la République.

Ce « coup de boost », tel qu’il le qualifie, est partagé par la dizaine d’adhérents de La République en marche (LRM) rencontrée ces derniers jours à Belleray (Meuse) et à Epernay, dans la Marne. Tous espèrent désormais que cette crise qui a ébranlé l’exécutif soit finalement bénéfique pour la suite du quinquennat.

Anne Bois, adhérente au parti présidentiel après des années à voter blanc, en est persuadée : « Quand j’ai vu les “gilets jaunes” manifester au début, je me suis dit : “Enfin !”. Jusqu’ici, on avait aucune opposition dans le pays. On allait enfin pouvoir discuter. » Cette conseillère Pôle emploi de 35 ans souligne d’ailleurs qu’à la faveur de cette crise, de nouveaux sympathisants LRM ont fait leur apparition dans les comités locaux de la Meuse. Une tendance également constatée dans la Marne : « Depuis novembre, on a eu un afflux de nouveaux adhérents, une soixantaine environ. Cela fait longtemps que ça n’était pas arrivé », se réjouit Patricia Gruson, référente territoriale LRM du département.

« Ils ont manqué d’humilité »

Aujourd’hui très critiques contre le mouvement de protestation qui a essaimé sur tout le territoire depuis deux mois, ces marcheurs disent pourtant avoir compris, au départ, les revendications des « gilets jaunes » sur le pouvoir d’achat ou la justice fiscale. « Au début, on était dans une phase d’écoute, et leurs revendications ne nous ont pas surpris, explique Bertrand Trepo, un vigneron de 38 ans rencontré dans une brasserie d’Epernay (Marne) avec d’autres adhérents. Le sentiment d’injustice fiscale, je le trouve légitime. »

Dans ces territoires ruraux, où les alternatives à la voiture sont presque inexistantes, la hausse de la taxe sur le carburant ou la limitation à 80 km/h ont également été très mal perçues. « Les habitants ici, ont pris ces mesures comme un affront, un manque de considération », regrette, avec le recul, le vigneron. S’ils louent volontiers le « charisme », « l’intelligence » et « l’énergie » du chef de l’Etat, les adhérents du parti présidentiel reconnaissent que des erreurs ont été commises, notamment après un an « d’état de grâce » où le gouvernement avait réussi à faire passer sans trop d’encombres les réformes de la SNCF, du code du travail ou de l’université.

« Macron a une équipe jeune autour de lui. Quand ils ont vu qu’ils arrivaient à faire passer toutes leurs réformes, ils ont manqué d’humilité, regrette Jean-François Valloire, garde forestier dans la Meuse. C’est pour ça qu’au début du mouvement, ils ont été aveugles, ils ont mis trois semaines à réagir. Ils ne se sont pas aperçus de ce qu’il se passait et n’ont pas compris qui étaient les gens qui descendaient dans la rue. »

A l’autre bout de la table, Antoine Lenelle, retraité de 57 ans, acquiesce : « Macron a trop mis de côté les corps intermédiaires. Mais il est jeune, il est encore en apprentissage. J’ai l’impression qu’il a compris, maintenant. »

« La République a été attaquée »

S’ils ont prêté une oreille attentive au lancement du mouvement, ces adhérents ont ensuite été « choqués » par les « propos haineux contre Macron » et les violences commises lors de plusieurs rassemblements. Le saccage de l’Arc de Triomphe, à Paris, le 1er décembre 2018 a, pour beaucoup, été le « point de bascule ». « J’ai alors pensé que c’était le début de la fin pour le mouvement, se souvient Gilles Gruson, marcheur de la Marne, espérant que l’opinion publique se retourne. Mais je me suis trompé. » Pour Alain Andrien, maire de Belleray depuis 2008 et macroniste après une vie politique passée à gauche, « la République a été attaquée » ces dernières semaines.

Les macronistes n’attendent désormais qu’une seule chose, sans vraiment y croire : « Que tout ceci s’arrête. Ils sont allés trop loin ! » D’autant que pour ces militants le gouvernement a répondu aux attentes et aux revendications des « gilets jaunes » à travers plusieurs annonces : annulation de la hausse de la taxe sur le carburant, élargissement de la prime d’activité ou encore défiscalisation des heures supplémentaires… Un « paquet » évalué à 10 milliards d’euros. « Pour nous c’est beaucoup, mais visiblement pour les “gilets jaunes”, c’est une goutte d’eau », soupire Mme Bois.

« Que les “gilets jaunes” viennent aux débats ! »

Après des semaines de protestation dans la rue, il est temps, selon eux, de participer au grand débat national et de dialoguer avec les « gilets jaunes », plutôt que de manifester contre eux. La grande majorité des marcheurs interrogés n’a ainsi pas l’intention de se rendre au rassemblement des « foulards rouges », organisé dans la capitale dimanche 27 janvier pour « soutenir la République » et dénoncer « les violences ».

« Que les “gilets jaunes” viennent aux débats !, lance, comme un défi, Mme Bois. Il ne faut pas qu’on reste enfermés entre nous, sinon cela sera stérile. » Dans le petit village de Belleray, le maire, Alain Andrien, a déjà pris ses dispositions : un cahier de doléances a été ouvert et il a consulté ses administrés par mail pour savoir s’ils souhaitent qu’un débat soit organisé dans la commune.

Mais que doit-il ressortir de cette consultation ? Dans la salle communale de Belleray, comme dans la brasserie d’Epernay, le débat s’engage entre les adhérents LRM. Et les avis divergent : faut-il un référendum ? La reconnaissance du vote blanc et de la proportionnelle ? Un changement, même à la marge, de la politique économique et fiscale ? Et les 80 km/h, alors ! Les propositions fusent, on plaide le pour et le contre. Tous ne sont pas d’accord. Le grand débat est également lancé dans les rangs de La République en marche.

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