Jean-Dominique Senard président de Renault (à gauche) et Thierry Bolloré, directeur général, au siège social du groupe, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), le 24 janvier. / Christophe Ena / AP

Entre sourires et gravité, le nouveau duo désigné pour diriger Renault a fait, jeudi 24 janvier, ses premiers pas devant les caméras, quai Alphonse Le Gallo, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), le siège du groupe automobile. Quelques minutes plus tôt, le conseil d’administration de l’entreprise avait entériné la toute récente démission de Carlos Ghosn, son PDG, accusé de malversations financières et incarcéré à Tokyo depuis le 19 novembre 2018, dans l’attente de son procès.

Conformément aux souhaits de l’Etat, premier actionnaire du constructeur automobile (15 % des actions et 22 % des droits de vote), les 18 membres du conseil ont pris la décision « d’instituer une dissociation des fonctions de président du conseil et de directeur général ». Ils ont nommé Jean-Dominique Senard, président de Michelin, à la présidence de Renault, et l’actuel patron opérationnel Thierry Bolloré au poste de directeur général.

Place donc à une nouvelle ère dont les contours semblent déjà se dessiner. Les administrateurs l’ont clairement stipulé : M. Senard ne sera pas un président de conseil d’administration lambda mais bien un dirigeant missionné pour remettre de l’ordre dans la gouvernance de l’entreprise et dans l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi fortement secouée en deux mois de crise et de scandale.

Hiroto Saikawa, le président de Nissan a dit espérer « une meilleure communication »

Il s’agit de confier au nouveau numéro un du groupe au losange « la pleine responsabilité du pilotage de l’Alliance pour le compte de Renault, en liaison avec le directeur général », précise le conseil d’administration dans un communiqué. « Il est important de retrouver une forme de sérénité après les événements tout à fait extraordinaires que nous venons de vivre », a déclaré, en écho aux demandes du conseil, M. Senard, lors de sa première intervention publique.

La nomination de ce dernier a eu des effets immédiats, au Japon, chez l’allié Nissan. Le constructeur nippon a « salué » jeudi dans un communiqué la constitution du tandem. Lors d’une déclaration à la presse, le président exécutif, Hiroto Saikawa, a dit espérer « une meilleure communication » après plusieurs semaines « difficiles » depuis l’arrestation de M. Ghosn. « M. Senard est un excellent homme d’affaires doté d’une grande expérience, avec qui je pense qu’on peut discuter », a-t-il poursuivi.

Signe que le climat est en train de s’apaiser, Nissan a, aussitôt la nouvelle direction Renault nommée, convoqué une assemblée générale en avril, répondant enfin favorablement à une demande insistante de Renault à laquelle, jusqu’ici, la partie japonaise était restée sourde. En retour, Renault espère bien peser sur la future gouvernance de son partenaire nippon. « L’Etat veut l’application de l’accord Rama dans le respect de la gouvernance de Nissan et du pouvoir du conseil d’administration de Renault », indique Bercy.

« Le côté social mis en avant est réel »

En France, même tonalité favorable chez les salariés si l’on en croit les déclarations syndicales. « Nous sortons enfin de ce feuilleton économico-politico-judiciaire et médiatique qui s’est joué au mépris de vingt années d’effort et de coopération des 450 000 salariés de l’Alliance », déclare Mariette Rih déléguée syndicale centrale de FO. « La dissociation est une excellente chose, se félicite Bruno Azière pour la CFE-CGC, premier syndicat du losange. Il y a, d’une part, l’apport d’un regard neuf avec la nomination de M. Senard mais aussi la continuité avec la confirmation de Thierry Bolloré, ce qui permet de conserver une compétence d’entreprise dans la gouvernance. »

A la CFDT, il y a même une forme d’enthousiasme. « La nomination de Jean-Dominique Senard est une bonne surprise pour nous, au regard de son passé d’industriel, de ce qu’il a écrit et théorisé, explique Franck Daout, délégué central syndical CFDT. Il a influencé une bonne partie du contenu de la loi Pacte qui est en ce moment examinée au Parlement. Nos amis de Michelin nous l’ont confirmé : le côté social mis en avant est réel. C’est important à un moment où l’entreprise va avoir besoin d’innovation sociale. »

L’ex-PDG pourrait bénéficier d’un « golden good-bye »

Mais tous les a priori ne sont pas positifs. « La forme change mais j’ai bien peur que la stratégie reste la même, souligne Fabien Gache, délégué CGT de Renault. Je rappelle qu’à la nomination de Carlos Ghosn, en 2005, les usines françaises réalisaient 53 % de la production européenne de Renault. En 2017, ce n’était plus que 19 %. Dans l’intervalle Renault-France a perdu 22 500 salariés. »

Un sujet pourrait tendre les représentants syndicaux : celui de l’indemnité de départ de Carlos Ghosn. En cumulant les sommes dues au titre de la rémunération variable différée, de la clause de non-concurrence et de la retraite chapeau, les calculs de la CGT ou du cabinet Proxinvest laissent entendre que l’ex-PDG pourrait bénéficier d’un « golden good-bye » supérieur à 25 millions d’euros. « Nous serons très attentifs au sujet, précise M. Azière. Avant que la moindre somme ne soit versée à Carlos Ghosn, nous devrons être sûrs que l’entreprise n’a pas été victime d’une spoliation. »

En attendant, Jean-Dominique Senard, qui reste président de Michelin jusqu’au 17 mai, date de la prochaine assemblée générale, en raison du statut juridique particulier du géant mondial des pneus (société en commandite par actions), a fait savoir dans un communiqué que sa rémunération chez l’industriel clermontois serait fortement revue à la baisse pendant la période de transition.

Thierry Bolloré a écrit aux 180 000 salariés de Renault

Le nouveau directeur général de Renault, Thierry Bolloré, s’est fendu d’une lettre à l’ensemble des collaborateurs du groupe, jeudi 24 janvier, après sa nomination par le conseil d’administration. « Je suis fier de prendre aujourd’hui la direction d’un groupe exceptionnel », écrit-il dans la missive qui doit être traduite dans l’ensemble des langues parlées dans l’entreprise. M. Bolloré insiste sur le « formidable acquis » que constitue l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi mais aussi sur les défis à relever liés à un « environnement international instable ». Le nom du nouveau président de Renault est mentionné dans la phrase de conclusion : « Avec Jean-Dominique Senard, avec vous tous, nous allons écrire une nouvelle page de notre histoire. »